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Mediapart
Les juntes militaires du Sahel s’enfoncent dans une dérive autoritaire
#Afrique #Sahel #juntesmilitaires #democratie
Article mis en ligne le 23 septembre 2025
dernière modification le 19 septembre 2025

Après avoir pris le pouvoir au Mali en 2020, au Burkina Faso en 2022 et au Niger en 2023, les militaires ont sapé tous les fondements démocratiques et ont imposé des régimes de terreur. Ils mettent en avant la priorité de la lutte contre les groupes djihadistes, qui ne cessent pourtant de gagner du terrain.

Comme tant d’autres avant lui, Étienne Fakaba Sissoko a fini par se résoudre à l’exil. Longtemps, cet économiste, ancien conseiller du président Ibrahim Boubacar Keïta (2013-2020), a cru qu’il pourrait continuer d’exprimer un point de vue critique dans son pays, le Mali. Mais la menace imminente d’un troisième séjour en prison l’a convaincu que la seule option, s’il voulait continuer d’user de sa liberté d’expression, était de fuir.

Il y a quelques semaines, il a donc franchi la frontière qui sépare le Mali de la Côte d’Ivoire. Après un bref passage à Abidjan, où la communauté des exilé·es politiques malien·nes a gonflé ces dernières années, il a pris l’avion pour la France. « Je ne me sentais pas en sécurité en Côte d’Ivoire. J’étais suivi, comme au Mali », explique-t-il au téléphone.

Étienne Fakaba Sissoko est l’une des nombreuses victimes de la répression politique qui sévit depuis qu’un quarteron de militaires, à la tête desquels figure le général Assimi Goïta, a pris le pouvoir par la force au Mali, en août 2020. Il est même l’un des premiers à l’avoir endurée. En janvier 2022, ce partisan d’un retour à l’ordre constitutionnel rapide est arrêté pour avoir prédit des lendemains difficiles après l’annonce de sanctions de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). (...)

Six mois plus tard, il est remis en liberté sans procès, sans explications, mais avec l’interdiction de quitter le territoire. Ça ne l’empêche pas de dire ce qu’il pense sur les réseaux sociaux et à la télévision. Deux ans plus tard, il est à nouveau arrêté. La transition devait théoriquement prendre fin le 26 mars 2024. Le 25, il poste un commentaire critique sur Internet. Dans la foulée, les policiers débarquent chez lui. Après trois mois de détention à l’isolement quasi total, il est condamné à deux ans de prison, dont un ferme, pour, entre autres, « atteinte au crédit de l’État ».

Étienne Fakaba Sissoko est envoyé dans la prison de Kenioroba, à 75 kilomètres de Bamako, où il retrouve d’autres détenu·es d’opinion, dont l’activiste Adama Ben Diarra (surnommé « Ben le Cerveau »), un ancien soutien de la junte tombé en disgrâce en 2023. Un an après son arrestation, Sissoko est libéré. Mais il est surveillé. « Si je voulais continuer le combat, je devais sortir. Il n’y a plus rien à espérer de ce régime dictatorial et incompétent, qui dirige un État failli », argue-t-il.

Pour lui, seule la force pourra déloger les militaires du pouvoir. Et il n’est pas le seul à le penser. (...)

Le Mali écrase toute dissidence

Celles et ceux qui pensaient une alternance pacifique encore possible il y a quelques mois ont déchanté ces dernières semaines. Le 13 mai, le pouvoir malien a dissous les partis politiques par le biais d’un décret présidentiel. Le 10 juillet, près de cinq ans après son avènement, la transition s’est autoprolongée, et Goïta s’est accordé un (nouveau) mandat de président de cinq ans, renouvelable « autant de fois que nécessaire ».

Cette décision n’a suscité que peu de contestation, l’opposition politique ayant été laminée, et les manifestations désormais interdites. (...)

Alors que de nombreuses voix critiques ont choisi l’exil, parmi lesquelles l’imam Mahmoud Dicko, qui s’est réfugié en Algérie fin 2023, deux anciens premiers ministres – les deux derniers poids lourds de la vie politique qui usaient encore un peu de leur liberté d’expression – ont été incarcérés cet été. (...)

Alors que de nombreuses voix critiques ont choisi l’exil, parmi lesquelles l’imam Mahmoud Dicko, qui s’est réfugié en Algérie fin 2023, deux anciens premiers ministres – les deux derniers poids lourds de la vie politique qui usaient encore un peu de leur liberté d’expression – ont été incarcérés cet été. (...)

Alors que plusieurs médias étrangers ont été interdits, dont RFI et France 24, les journaux nationaux sont réduits à l’autocensure. (...)

L’échec face aux djihadistes est patent, aussi bien au Mali qu’au Burkina Faso et au Niger – plus patent encore que lorsque ces pays s’appuyaient sur le soutien de l’armée française, déployée dans le cadre de l’opération Barkhane. Selon Acled, une ONG qui recense les violences dans les conflits, entre 2021 et 2024, le nombre de morts a plus que doublé au Sahel, passant de moins de 6 000 décès à plus de 12 000.
Le Burkina Faso interdit les activités politiques

Comme au Mali, les militaires arrivés au pouvoir par la force au Burkina Faso et au Niger, respectivement en septembre 2022 et juillet 2023, avaient promis de vaincre les groupes djihadistes. Mais c’est surtout aux libertés politiques qu’ils se sont attaqués. (...)

Plus encore qu’au Mali, le moindre « faux pas » est synonyme d’arrestation, de disparition, voire de réquisition forcée. « À la différence du Mali, où l’on sait généralement où se trouvent les personnes arrêtées, on ignore où passent les personnes enlevées au Burkina », explique un militant des droits humains ayant requis l’anonymat.

Dans le meilleur des cas, elles sont détenues au secret dans des villas de Ouaga 2000, un quartier huppé de Ouagadougou. Dans le pire des cas, elles sont envoyées au front, pour combattre contre les djihadistes aux côtés des militaires et de leurs supplétifs, les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), auteurs de nombreuses exactions contre les populations civiles.

Personne n’y échappe (...)

De nombreux journalistes ont également été envoyés au front ou détenus au secret. (...)

Dissolution des partis au Niger

Au Niger, la répression est moins féroce, mais la trajectoire est similaire. Les médias qui se montrent un peu trop critiques sont menacés de fermeture. Quelques figures politiques de l’ancien régime croupissent en prison, dont l’ancien président Mohamed Bazoum et son épouse, détenu·es depuis le coup d’État. Des activistes aussi, parmi lesquels Moussa Tchangari, incarcéré depuis décembre 2024.

Pas plus que ses voisins, avec lesquels il a fondé l’Alliance des États du Sahel (AES) avant de quitter la Cedeao en janvier et l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) en mars, le général Abdourahamane Tiani n’envisage pas de passer la main à des civils.

Le 26 mars, les autorités ont annoncé la dissolution de tous les partis politiques, entérinant la suspension qui les visait depuis le coup d’État. Tiani a en outre été proclamé président de la République pour une durée de cinq ans minimum. Le général a justifié ces décisions en invoquant l’unité nationale et la menace djihadiste, et en accusant les partis de semer la discorde. (...)