
En renvoyant systématiquement la Nupes à « l’extrême gauche », la Macronie continue de banaliser l’extrême droite qui, présente en force à l’Assemblée nationale, se félicite d’avoir autant de ventriloques.
Benjamin Lucas a eu raison de se révolter. Le 3 août, le député de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) et membre du parti Génération·s, est sorti de ses gonds sur le plateau de BFMTV. Face à lui, le député Renaissance (ex-LREM) Paul Midy se lançait dans un couplet ressassé ad nauseam par la majorité présidentielle, renvoyant dos à dos « l’extrême gauche et l’extrême droite » à l’Assemblée nationale – manière de se dispenser de débattre sur le fond, ce à quoi les macronistes doivent se réhabituer maintenant qu’ils n’ont plus la majorité absolue.
« C’est indigne ! Je ne me ferai plus traiter de militant d’extrême gauche, ni à l’Assemblée nationale ni sur les plateaux. Quand vous dites ça, vous banalisez ce qu’est l’extrême droite et vous préparez l’accession au pouvoir de Mme Le Pen ! », a rétorqué l’ancien président du Mouvement des jeunes socialistes, député des Yvelines, à qui il ne serait jamais venu à l’idée de revendiquer le titre de marxiste-léniniste. (...)
soit la Macronie a un sérieux problème de culture politique, soit elle joue sciemment un jeu dangereux dont se délecte une extrême droite en embuscade. Car il va de soi que ni la Nupes ni LFI en particulier – puisque c’est souvent d’elle qu’il s’agit – ne sont d’extrême gauche.
Non, la Nupes n’est pas d’extrême gauche
Nés historiquement de la crise du PCF et du stalinisme, ainsi que de Mai-68, les partis qui se revendiquent aujourd’hui d’extrême gauche, ou « communistes révolutionnaires » – le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), Révolution permanente et Lutte ouvrière (LO) – n’ont grosso modo pas changé de discours.
À l’inverse des partis qui composent la Nupes, ils rejettent la voie électorale et parlementaire, et misent sur le renversement du capitalisme uniquement par la mobilisation populaire. (...)
Bien qu’elle compte sur l’existence de mouvements sociaux puissants pour changer le rapport de force politique, la Nupes ne partage pas cette vision maximaliste.
Si le stigmate d’extrême gauche colle autant à la peau de LFI, c’est sans doute parce que son leader, Jean-Luc Mélenchon (qui n’a plus de mandat), a milité dans sa jeunesse à l’Organisation communiste internationaliste (OCI), le courant trotskiste lambertiste. Ses adversaires entretiennent le fantasme d’un lien toujours vivace avec ce passé militant, pour mieux tenter de diviser la coalition de gauche et écologiste – qui a prouvé sa ténacité lors du premier mois et demi de session parlementaire. (...)
S’il garde incontestablement la culture politique et le style oratoire de la « dernière génération d’octobre », Jean-Luc Mélenchon a cependant rompu il y a bien longtemps avec ses camarades de la IVe Internationale. Sa longue carrière au Parti socialiste (PS), auquel il a adhéré en 1977 pour le quitter en 2008 après avoir été sénateur et ministre sous Lionel Jospin, en témoigne.
« En trente ans, ses positions ont globalement peu varié. Mais le monde s’est à ce point droitisé qu’un social-démocrate classique peut désormais passer dans l’espace médiatique pour un “dangereux populiste” ou pour un “excité antisystème” », note à ce sujet le sociologue Manuel Cervera-Marzal dans Le Populisme de gauche (La Découverte, 2021).
Quant au mouvement insoumis, il fait partie du renouveau des gauches radicales en Europe, qui ne s’inscrivent pas dans la voie insurrectionnelle, mais affichent bel et bien leur ambition d’exercer le pouvoir. Sur le fond, la logique du programme de la Nupes fait d’ailleurs écho à une certaine tradition sociale-démocrate.
Il faut donc se rendre à l’évidence : Marine Le Pen a trouvé chez certains responsables de Renaissance des ventriloques de qualité. (...)
Le macronisme, stade suprême du confusionnisme
Que l’association France Mémoire, créée en 2021 par Emmanuel Macron, prévoie de commémorer les cent ans de la mort de l’écrivain antisémite Maurice Barrès en 2023 (un des inspirateurs d’Éric Zemmour), achève le tableau : le macronisme, stade suprême du confusionnisme.
En adoptant les mots du RN, la Macronie, qui lui a déjà fait la courte échelle par pur cynisme politique lors de la précédente séquence électorale, contribue chaque jour un peu plus à sa normalisation. La campagne des élections législatives, qui jouait déjà sur ce registre, avec la complicité du « cercle de la raison », a donné le résultat que l’on connaît : 89 député·es RN à l’Assemblée nationale.
Les fins limiers macronistes assument maintenant presque ouvertement leur pas de deux avec le parti d’extrême droite. (...)