
Plus de 30 organisations, dont le Planning Familial, Aides et Sidaction, et près de 50 personnes réagissent à une tribune calomniant le Strass (Syndicat du Travail Sexuel). Elles réaffirment leur « soutien et l’impérieuse nécessité d’un plaidoyer passant par la parole à la première personne, pour les droits des travailleuses et travailleurs du sexe. »
Encore une fois, une tribune diffamant le Strass (Syndicat du Travail Sexuel) paraît, dans l’Humanité [Dans l’édition du 28 juillet]. Nous réaffirmons notre soutien à ce syndicat et l’impérieuse nécessité d’un plaidoyer passant par la parole à la première personne, pour les droits des travailleuses et travailleurs du sexe. Nous réaffirmons un féminisme qui ne laisse personne sur le bas-côté, en raison de son origine, de sa classe sociale ou de son activité professionnelle.
Le confinement a considérablement dégradé la situation sociale des travailleuses du sexe, déjà précaires. Le Strass, Acceptess-T, et quelques rares organisations se sont auto-organisées pour survivre et aider. Ce sont ces mêmes associations qui aujourd’hui sont endeuillées par une série de morts violentes, de suicides : les signataires de la tribune de l’Humanité ne s’en sont pas ému·es, n’ont nullement réagi et rajoutent au mal-être de la communauté.
Bien loin de « promouvoir le viol », comme l’affirme ce texte, le Strass œuvre à prévenir toutes les violences faites aux travailleuses du sexe, aide et participe à la prise en charge de ces victimes. Le syndicat le fait par exemple à travers son partenariat avec le projet Jasmine, mis en place par Médecins du Monde (organisation aussi visée par les signataires), qui permet notamment alertes et échanges d’informations sur de potentiels agresseurs.
La tribune de l’Humanité fait croire que toute relation dans le cadre du travail du sexe serait un viol tarifé, et que protéger les travailleuses du sexe par le biais d’un syndicat reviendrait donc à "promouvoir le viol". Et pourtant, comme elles sont nombreuses à l’expliquer, elles savent très bien faire la différence entre un viol et une relation consentie dans le cadre du travail. Les accuser de "promouvoir le viol", c’est nier leur vécu, leur expertise et leur dignité. C’est aussi contribuer à une mauvaise prise en charge des violences effectives.
Ces violences, viols, coups, menaces, rackets, parfois aussi de la part des forces de l’ordre, le Strass les prend au sérieux, nous les prenons au sérieux. Ces violences ne sont pas inhérentes au travail du sexe, mais elles sont favorisées par les stigmates portées contre celles et ceux qui l’exercent, ainsi que par l’exclusion sociale et la répression entretenues par des lois et les institutions.
Il a été confirmé par plusieurs rapports d’évaluation1 de la « loi de pénalisation des clients » de 2016, que ce texte, encore défendu par les signataires dans L’Humanité, malgré les preuves multiples de ses conséquences dramatiques, a augmenté les violences et la vulnérabilité au VIH et autres IST. (...)
On ne peut agir politiquement sur un sujet sans les premières concernées. Vouloir faire taire les voix des travailleuses du sexe et leurs organisations par le mensonge et la diffamation, demander aux médias de ne plus recueillir leur parole, militer pour un traitement journalistique unilatéral de la prostitution sont non seulement des revendications ou méthodes illégitimes en démocratie, mais dangereuses pour les combats d’émancipation, de protection sociale, de luttes contre les violences et pour la santé de personnes exclues et précarisées, que l’ État français menace, lorsqu’elles sont sans-papier, d’expulsion du territoire au lieu de les protéger. Les signataires de ce texte publié dans l’Humanité le savent. (...)
Lire la tribune parue dans l’Humanité (édition du 28 juillet) :
Prostitution. Sous le Strass, le corporatisme d’un monde libéral et antiféministe
Depuis quelques années, les médias de gauche ouvrent leurs colonnes à une obscure association corporatiste se présentant comme le Syndicat des « travailleuses du sexe » (Strass). Cette association, portée par un projet profondément libéral, vise à soumettre l’ensemble des activités humaines aux logiques du marché capitaliste. Son projet s’oppose à toutes les femmes qui luttent contre les violences qui leur sont faites, au premier rang desquelles se trouvent les violences sexuelles. Les positions du Strass sont en opposition radicale avec les organisations qui défendent le droit des salarié-e-s. La position des syndicats les plus combatifs et de la majorité de la gauche est très claire à l’égard de la prostitution. « Dans la prostitution, la personne est engagée tout entière ; il n’y a plus de séparation entre elle et la fonction qu’elle occupe. Pour nous, la force de travail physique ou intellectuelle est à distinguer de l’intimité. Le sexe doit rester une barrière, il est du domaine de l’inaliénabilité. Tout ne se vend pas. » Voilà en substance la position de la CGT, par exemple, concernant l’activité prostitutionnelle.
Cette position est historiquement celle portée par la gauche française, qui soutiendra dans sa grande majorité la campagne de Josephine Butler, pionnière de la lutte abolitionniste à la fin du XIXe siècle. Le Parti communiste, comme d’autres partis de gauche, a lui aussi affirmé maintes fois son positionnement abolitionniste et s’est prononcé en faveur de la pénalisation des clients. Du côté de Marx, la prostitution est une activité qui n’ouvre pas sur une contradiction porteuse d’émancipation comme c’est le cas pour l’ouvrier, mais une activité seulement destructrice de l’individu.
Alors que le nombre de personnes se trouvant sous le seuil de pauvreté ne cesse d’augmenter dans ce pays, les médias de masse font sans relâche la promotion de la prostitution. Ils recourent au vocabulaire de la « travailleuse du sexe » et soutiennent que la prostitution serait un « travail comme un autre » en donnant régulièrement la parole au Strass. Or, ce « syndicat » est en réalité une association loi 1901. Il est signataire de la charte du Global Network of Sex Work Project (NSWP), lobby mondial en faveur du système prostitutionnel. La charte du NSWP prévoit d’inclure à la fois les femmes prostituées, les « intermédiaires » et les « managers » (autrement dit des proxénètes) sous le vocable de « travailleurs du sexe ». Cela s’appelle une corporation. En fait, un syndicat doit faire preuve d’une totale indépendance à l’égard de l’employeur. Ce n’est manifestement pas le cas du Strass puisque ses principales revendications portent sur « la dépénalisation du proxénétisme et le refus de pénaliser les clients. Autrement dit, garantir et préserver la liberté pleine et entière d’exploiter ! » soulignent Sophie Binet et Sabine Reynosa, de la CGT.
Le Strass tout comme Médecins du monde France (contrairement à Médecins du monde Espagne qui se bat pour l’abolition de la prostitution) ont saisi le Conseil constitutionnel en janvier 2019 pour demander la suppression du délit « d’achat d’un acte sexuel sur les enfants, les personnes handicapées, les femmes enceintes et les personnes vulnérables », arguant que ces catégories de personnes pouvaient elles aussi « consentir ». Leur argumentaire juridique consiste à soutenir que « pénaliser le client » porterait gravement atteinte « à la liberté individuelle, la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre » ! Discours classique de l’idéologie libérale qui fait abstraction de l’atteinte à la dignité des personnes prostituées et ne dit rien des violences qu’elles subissent au quotidien. Rappelons que 80 % des personnes qui « consentent » à subir des pénétrations sexuelles non désirées sont des personnes étrangères et que 90 % sont des femmes. L’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de 14 ans et leur espérance de vie moyenne est de 34 ans ! La prostitution est une domination de classe profondément misogyne, raciste et LGBTphobe. C’est aussi un système largement pédocriminel (enfant-e-s et adolescent-e-s étant source de plus de profit).
En outre, les corporations comme le Strass veulent revenir à une conception archaïque du viol, en refusant de considérer qu’une pénétration obtenue sous la contrainte de l’argent du « client » prostitueur ou d’un proxénète soit un viol. Pourtant, l’immense majorité des viols sont commis sans violence, par le biais de stratagèmes, de rapport de forces moral et de sidération psychique. Les mêmes mécanismes qui rendent possible la soumission des personnes victimes de prostitution.
Ainsi, sous couvert de défendre des personnes prostituées, ces corporations sont des chevaux de Troie réactionnaires, gouvernés par un projet ultralibéral et antiféministe visant à décriminaliser le viol sous contrainte morale pour permettre la régulation des rapports sexuels sous l’égide d’un marché capitaliste. Cela représenterait un recul civilisationnel considérable.