
Dans les années 70, on découvrait, horrifiés, les enfants du Biafra, petits squelettes au ventre énorme, aux trois quarts morts de faim...appels à la générosité des téléspectateurs...on parlait de la faim, déjà ; ça faisait écho aux « disettes » connues de nos leçons d’histoires, au temps d’avant la Révolution Française...le fléau allait disparaître, les Etats s’engageaient généreusement à verser 0,un tout petit quelque chose % de leur PIB...(le 1% réclamé alors par plusieurs ONG, non, ils ne pouvaient pas se le permettre !), un plan sur dix ans voyait le jour ! On passait du « tiers-monde » aux « pays en voie de développement » : tout un programme, vive le progrès !
Et que voyons-nous aujourd’hui ?
On voit enfler démesurément les vagues d’affamés venus d’Afrique, qui viennent se noyer ou se briser contre la forteresse Europe...
On voit un mur élevé à la frontière mexicaine par les USA qui avaient pourtant applaudi à la chute d’un autre mur !
On voit : émeutes, pillages – suite à l’augmentation vertigineuse des prix des denrées alimentaires
On voit naître des flottes de bateaux-pirates au large de la Somalie : la pêche locale est sinistrée, ils s’en prennent la pêche industrielle..les lois deviennent le cadet de leurs soucis
On voit mourir des bébés chinois empoisonnés par un additif mis dans le lait -la mélanine, un poison-
(on a vu aussi d’incroyables bûchers de bovins au temps de la vache (ne serait-ce pas plutôt de l’humanité ?) folle pour s’être nourrie de farines animales ; bon : il a fallu redécouvrir que les bovins sont incurablement herbivores...
On voit aussi l’obésité enfler dans les pays dits « développés », peut-être parce qu’on y mange trop, mais surtout parce qu’on y mange mal – quand on ne peut plus se payer une alimentation de bonne qualité (les fameux 5 fruits-légumes quotidiens tendent à devenir un luxe pour de plus en plus de chômeurs et de travailleurs pauvres des pays riches).
Manger correctement est en passe de devenir inaccessible : chez nous, aux petits revenus dont le nombre s’accroît en permanence, ailleurs à de larges pans d’humanité : la faim ou la malbouffe, c’est selon...
923 millions d’humains sur 6,6 milliards, ne mangent pas à leur faim, 1 milliard souffre de surpoids..
Ca ne s’arrange pas !
L’humanité est bien malade : il faut se souvenir que la nourriture c’est vital ; les troubles de l’alimentation, individuellement ou collectivement, lorsqu’ils deviennent chroniques, mettent la vie en danger.
Cela dit, si le problème de la nourriture est un très grave symptôme de ce qui atteint l’humanité aujourd’hui, il n’est pas le seul ! Réchauffement climatique avec fonte des glaces et menace de montée des eaux, guerres et violences sur les populations, chasse aux étrangers (qui vont jusqu’aux pogroms, en Russie par exemple – chez nous rafles quotidiennes, enfermement dans les centres de « rétention », délocalisation des camps de réfugiés...)....
Si on se focalise uniquement sur les symptômes, sans chercher à comprendre vers quels dysfonctionnements ils pointent, on se condamne au mieux à l’impuissance ou à l’épuisement activiste, au pire à l’aggravation de ce qu’on est censé combattre.
Ainsi, par exemple, le lancement planétaire de cette fausse bonne idée des agrocarburants a accru sérieusement la sous-alimentation (gel d’immenses terres jusque là productrices d’agriculture vivrière, en Afrique notamment, monoculture, exportations massives, sans contrôle sur les prix) et également la pollution de l’environnement,à cause des doses massives d’intrants chimiques pour produire les plantes ad hoc.
Les OGM censés « nourrir la planète » - selon Monsanto, mais contribuant à l’appauvrissement des paysans dépossédés des semences (brevetées) : vague de suicides, en Inde, d’agriculteurs qui ont été pris dans cette nasse. Risques pris pour la santé humaine, quand le business agroalimentaire met des OGM sur le marché, massivement, sans que leur inocuité soit prouvée, et quand la recherche en plein champ fait courir le risque de pollution irréversible aux cultures environnantes – biologiques en particulier.
Quels dysfonctionnements du système économico-politique « mondialisé » produisent, entre autres symptômes, celui de la « faim-malbouffe » ? Et comment s’y prendre pour analyser la globalité de la situation, alors que nos petits moyens personnels sont mieux adaptés à l’observation de nos contextes locaux ? Il nous faut forcément passer par des intermédiaires : littéralement, des Media. Or il y a là un petit problème : les Media qui arrivent tout naturellement jusqu’à nous – nos Media familiers (on parle même de « paysage médiatique ») sont eux-mêmes inclus dans le système que nous voulons étudier : on commence à bien savoir qu’une petite poignée de grands groupes industriels se les partagent (Pinault, Dassaut, ...). Ils ont donc, nos Media familiers, une fâcheuse tendance à être la Voix ...du système en cause. Donc : prudence.
Il nous reste à chercher les informations et analyses qui nous intéressent chez des ONG, des associations, des regroupements d’associations, qui n’ont pas d’intérêts financiers dans le système (même s’il serait illusoire d’imaginer qu’il soit possible de se tenir sans compromis aucun, tout à fait en dehors, puisque l’organisation du monde où nous sommes est -on nous le répète assez- mondialisée.). On fait au passage une découverte fort intéressante : ces groupes de citoyens bien réveillés foisonnent et font un travail énorme, d’un bout à l’autre de la planète, et solidairement. On se prend à rêver : si nos Media familiers nous informaient quotidiennement sur cette réalité-là, nous n’aurions sans doute pas le même regard désabusé, désespéré, impuissant sur ce qui se passe (mais il est vrai qu’alors la Télé ne fournirait pas aux annonceurs du « temps de cerveau humain disponible »...et comme la pub, ça paie...).
Du temps où l’agriculture et l’élevage -bases incontournable de l’alimentation humaine- depuis que notre espèce a laissé derrière elle la cueillette et la chasse, n’étaient pas « mondialisés », les problèmes – et les disettes – dépendaient beaucoup de la qualité des sols et du climat, même si, localement, il y avait déjà ceux qui mouraient plus de faim que les autres (on avait rarement très faim dans les châteaux ).
Après la seconde guerre mondiale, pendant plusieurs dizaines d’années, la production de nourriture à faible coût a explosé, et a donc pu, un temps, faire illusion.
la chimie – parallèlement à la mécanisation - a fait une entrée fracassante -c’est le cas de le dire- dans l’agriculture, les rendements se sont démultipliés, les coûts à plus long terme n’ont tout simplement pas été envisagés : rien moins, en particulier, que la destruction de notre environnement, sans lequel, pourtant, nous ne serions pas capables de vivre !
Parallèlement se sont mises en place les Institutions Financières Internationales, courroies de transmission du Capitalisme libéral, qui ont présidé à l’organisation des échanges.
priorité à l’exportation – qui devait rapporter le maximum de devises-
développement, à grande échelle, de la monoculture, rendue possible par le développement de la mécanisation et la chimie. Un exemple actuel très représentatif : le Brésil a transformé une grande partie de ses terres agricoles en un océan de soja « l ’or vert », qui menace maintenant la forêt primaire d’Amazonie, met quantité de paysans au chômage, à cause de la mécanisation, et laisse sur leur faim, au sens propre, ceux qui sont employés.
diminution, jusqu’à la disparition, des cultures de subsistance locale,
déforestation.
mise en concurrence des exportations à bas prix des pays occidentaux avec des productions locales forcément plus coûteuses (par exemple les petits élevages de poulets africains ont été ruinés par les abats de poulets de l’UE qui arrivaient sur les marchés africains à des prix imbattables, d’autant plus que la PAC protège les productions européennes)
Endettement des pays pauvres auprès du FMI, afin de « se développer », et au prix d’ « ajustements structurels », conditions sine qua non des prêts – ont provoqué une perte d’autonomie et une dépendance croissante aux fluctuations des marchés mondiaux.
Baisse des cours : les monocultures exportatrices des pays d’Afrique et d’Amérique latine ont rapporté de moins en moins de devises, alors que l’augmentation du prix du pétrole rendait les importations de produits d’alimentation courante toujours plus coûteuses
le comble, c’est que le « progrès » a fini par aggraver sérieusement les deux conditions initiales de l’agriculture : le climat s’est détérioré : sécheresses, désertification, inondations, cyclones, ont eu un impact négatif, évidemment, et cela va en s’aggravant encore ; les sols ont été détruits par la chimie et la monoculture, la stérilisation les menace.
Les petits paysans, privés de ressources, ont tenté leur chance en rejoignant les villes, mais ne sont guère allés plus loin que les bidonvilles de périphérie où les ressources restent très problématiques ; il n’est pas étonnant que de plus en plus d’entre eux espèrent trouver des moyens de subsistance en Europe et n’ayant plus rien à perdre, sont prêts à risquer leur vie.
L’émergence économique de géants comme la Chine et l’Inde a accru considérablement la demande de viande et de poisson : cela s’est traduit, pour la viande, par une demande encore plus forte de céréales pour la nourriture animale (pour produire une même quantité de calories il faut 2 à 5 fois plus de céréales pour produire la viande que si on consomme directement les céréales), donc de surface de terres supplémentaires retirées aux productions vivrières. (des terres, en Afrique, appartiennent maintenant à des producteurs chinois et indiens) ;
quant au poisson, la pêche industrielle a pris de telle proportions qu’elle menace les océans de pollution et de perte de la biodiversité. La pêche artisanale est ruinée ou en voie de l’être à brève échéance.
Les spéculateurs de la Bourse, en mal de « subprimes » aux USA se sont jetés sur les denrées alimentaires ! Provoquant une très forte hausse des prix de produits de première nécessité sur toute la planète : ils annoncent d’ailleurs qu’il n’y a pas de meilleure opportunité pour eux : tout le monde aura toujours besoin de manger, et les prix sont déterminés en bourse par l’assaut de spéculation, donc ils pensent – et espèrent bien – qu’on ne reverra pas de sitôt l’alimentation « bon marché » (on peut sans problème les entendre sur internet (taper sur un moteur de recherche : vidéos « la faim dans le monde »)
Ce qui nous a été présenté comme le progrès, le développement, la croissance, finit par se manifester comme un désastre sans précédent, à la fois humain et écologique.
« la main invisible du marché », nous a-t’on dit, se passe de l’intervention des Etats dans les échanges : c’est magnifique, le marché se régule tout seul ! : la somme des intérêts individuels produit l’intérêt collectif. Déjà du temps de La Fontaine on savait, pourtant que « la raison du plus fort est toujours la meilleure » ! sans doute qu’à force de se raconter qu’on est en Démocratie, on finit par gober n’importe quoi (parce que les Etats les plus puissants, comme les USA, eux, protègent leurs marchés, et on n’a pas encore entendu dire que le FMI le leur ait interdit pour cause de concurrence libre et non faussée ! La Fontaine n’est donc pas périmé...)
Moralité : se laisser mettre en dépendance alimentaire par les puissants de ce monde et les spéculateurs, c’est abandonner dans leurs mains une « arme de destruction massive » : ...« la-dessus, le loup l’emporte et puis le mange, sans autre forme de procès »...autrement dit, par un milliardaire américain, Warren Buffett : « « Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma
classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et nous sommes en train de la gagner. » (F. Ruffin, La guerre des classes).
Il nous reste à chercher ensemble comment reconquérir et assurer le droit des humains à la souveraineté alimentaire, et ça ne pourra pas se faire sans mettre en place une organisation économico-politique à finalité humaine et solidaire, pour remplacer un système de profit et d’enrichissement de quelques uns qui perdure au prix de l’esclavage du grand nombre et de la destruction de la planète.
Marie-Claude Saliceti, novembre 2008