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Faire dialoguer social et écologie
Article mis en ligne le 5 juin 2020
dernière modification le 4 juin 2020

Artisans d’une convergence inédite autour de la « sortie de crise », la CGT et Greenpeace ont engagé un débat exigeant, sans masquer leurs divergences. Entretien croisé avec Philippe Martinez et Jean-François Julliard.

Leur première rencontre a eu lieu à Irun, lors du contre-G7 en août 2019, à l’initiative d’Attac. Depuis, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, et Jean-François Julliard, président de Greenpeace France, poursuivent leurs discussions aux côtés d’autres organisations et syndicats dans le collectif « Plus jamais ça (1) ». Politis les a réunis par visioconférence pour en savoir plus sur cet alliage inédit entre social et écologie désormais inscrit dans le programme commun de sortie de crise du collectif. Ils ont joué le jeu sans nier leurs désaccords et en analysant sans faux-semblants leurs marges de manœuvre pour tendre vers une société plus juste et écologique.

Greenpeace et la CGT qui discutent et pensent « le monde à reconstruire » ensemble. Cela signifie-t-il qu’il n’y a plus de points de divergence ou que vous faites d’énormes compromis ?

Philippe Martinez : Nous ne nions pas qu’il persiste des points de divergence, mais nous pouvons nous flatter d’avoir été suffisamment intelligents pour commencer par travailler sur l’immense quantité de choses qui nous rassemblent. Le nucléaire, nous devons en parler même si nous savons que nous ne sommes pas d’accord. Mais, si nous en parlons en premier, nous n’avancerons pas. Notre plan de sortie de crise est le résultat d’une écoute de notre part sur les énergies fossiles et les investissements dans le nucléaire, et Greenpeace, je pense, n’y a pas mis certaines de ses convictions. Ce texte est donc notre plus grand dénominateur commun. Il a été possible parce que nous nous faisons confiance et que nous ne faisons pas semblant d’être d’accord sur tout.

Jean-François Julliard : Chez Greenpeace, cela fait plusieurs années que nous souhaitons nous rapprocher d’organisations qui ne sont pas nos alliés naturels. Si nous voulons aller plus loin que le slogan « fin du monde, fin du mois, même combat », qui nous rassemble naturellement, nous devons créer ces rapprochements. Nous ne nions pas les désaccords, mais nous nous retrouvons autour de valeurs communes et du constat que le monde ne fonctionne pas bien. (...)

Des militants de Greenpeace ont justement bloqué la raffinerie de La Mède. Quelle a été la réaction des ouvriers ?

P. M. : C’est sur ce genre de sujets qu’il me semble sain que nous discutions à la tête de nos organisations. Oui, il y a des syndicats de la CGT qui ont du mal à apprécier le fait que nous travaillons avec Greenpeace, parce qu’ils ont l’impression qu’on accuse les salariés d’être responsables de la pollution. Nous ne devons pas nous tromper de cible. Nous menons chacun des initiatives « coup de poing » qui nécessitent que nous discutions et que les militants de Greenpeace et de la CGT se rencontrent sur le terrain, pour faire en sorte que nos messages soient bien lus. Nous avancerons plus vite qu’en restant chacun dans notre coin à nous traiter de je ne sais quoi, pendant que ceux qui nous gouvernent se frottent les mains.

J.-F. J. : À La Mède, d’ailleurs, il y avait eu des rencontres entre militants de Greenpeace et syndiqués CGT qui ont permis que, le jour du blocage, les choses se passent bien. Nos activistes ont bien expliqué que les salariés n’étaient pas visés, et cela a été rappelé dans toutes nos prises de parole. (...)

En 2013, Greenpeace épinglait les syndicats qui défendent la filière nucléaire, notamment la CGT. Qu’est-ce qui a évolué en sept ans ?

P. M. : Des choses ont bougé. Pas pour tous nos adhérents, mais l’arrivée de beaucoup de jeunes dans la CGT pose le débat différemment. Nous restons convaincus que le nucléaire est indispensable. En revanche, nous considérons désormais qu’il faut mettre beaucoup plus de moyens dans les énergies renouvelables pour diminuer la part du nucléaire. Nous pensons aussi que la recherche doit se poursuivre, y compris sur le nucléaire, notamment sur la question des déchets.

Il y a un débat interne à la CGT et j’aimerais que ce débat ne soit pas uniquement l’affaire des travailleurs des centrales, mais de tous les adhérents, afin de montrer la diversité de nos appréciations. Au dernier congrès, beaucoup de jeunes sont montés au créneau pour demander un débat sur le sujet à l’échelle de la CGT. Nous évoluons donc, même si notre position reste encore bien différente de celle de Greenpeace.

J.-F. J. : Greenpeace, depuis sa création, a toujours été antinucléaire. Cela reste une constante, mais nous avons évolué en intégrant la dimension sociale. Pendant des années, Greenpeace disait : « il faut sortir du nucléaire le plus rapidement possible », sans expliquer comment faire, ce que ça allait coûter et ce que ça représentait en termes d’impact social pour les 200 000 travailleurs du secteur. Nous intégrons désormais cette question en rappelant que des alternatives existent. Nous avons démontré en 2018 avec le Réseau action climat que, pour 1 euro investi dans les énergies renouvelables, le nombre d’emplois créés est trois fois plus important que pour 1 euro investi dans le nucléaire. Nous essayons de convaincre et de faire en sorte que la CGT, peut-être dans cinq ou dix ans, puisse tenir un discours qui n’est pas encore le sien aujourd’hui et se rende compte qu’on peut se passer du nucléaire. (...)

Seriez-vous prêts à aller jusqu’à la rédaction d’un programme commun pour la présidentielle 2022 ou à soutenir une candidature unitaire ?

J.-F. J. : Ce n’est pas l’idée. Nous avons fixé une ligne rouge dès les premières discussions : nous sommes un collectif d’associations, de syndicats, d’ONG, de mouvements, de think tanks à la rigueur, mais nous n’incluons pas les partis politiques dans cette alliance. Notre rôle est de formuler des propositions, de les amener au débat public, puis les partis politiques doivent faire le boulot, qu’ils soient dans l’opposition ou la majorité. Nous ne sommes pas naïfs, nous savons que nous avons besoin de la puissance publique, car notre détermination ne suffira pas à transformer nos idées en changements concrets dans la vie réelle. Nous ne fuyons pas le dialogue avec les responsables politiques, au contraire. Mais cela n’ira pas jusqu’à avoir un programme commun, ni à devenir nous-mêmes un parti politique, ni même à soutenir un candidat.

P. M. : Nous faisons encore la démonstration que nous n’avons pas besoin des partis politiques pour réfléchir. Nos 34 mesures s’adressent en premier lieu aux citoyens, pour alimenter le débat collectif au niveau national, européen, mondial. Soit on cherche la défense des intérêts collectifs, soit on a une démarche partisane. Quant aux partis politiques, on leur pose une question : « Et vous, qu’est-ce que vous faites maintenant ? »