
Le « droit à la ville » tel que pensé par Henri Lefebvre : un apport théorique fondamental, humaniste et révolutionnaire d’une brûlante actualité.
Il y a plus de 50 ans était édité le « droit à la Ville » d’Henri Lefebvre. Par ce livre, son auteur a construit une pensée globale pour définir une matière nouvelle : la ville, matière vivante et donc en évolution permanente, dont la spécificité est d’être l’écosystème des vies humaines, de leurs interactions entre elles et avec leur environnement, lorsque celui-ci n’est plus principalement naturel mais bâti par la main de l’homme. Plus que la ville, c’est donc bien, la question de l’ « habiter » qui est centrale dans ses écrits, voire même de « l’habiter ensemble », comme nouvel instrument d’aliénation et de domination des classes laborieuses. La ville est alors ici désignée comme le lieu de nouveaux rapports de force puisqu’elle devient un lieu privilégié de l’expression des rapports sociaux. (...)
Ce droit à la ville est alors porteur tout à la fois de promesses révolutionnaires d’appropriation collective et de production de richesses, comme de la possibilité d’une forme moderne et exacerbée d’accroissement des inégalités permettant aux logiques capitalistes, par leur capacité à créer les formes et les espaces, de trouver un nouvel eldorado à leurs besoins naturels d’accumulation des survaleurs.
Par ses travaux, Henri Lefebvre a également permis d’établir des jonctions entre urbanisme, histoire, géographie, sociologie et culture en faisant échapper la question du droit à la ville aux seuls experts pour le confronter aux vécus et aux pratiques populaires dans une logique transversale.
L’auteur a ainsi défini les notions d’ « espace perçu » qui est la vision de l’usager, d’ « espace conçu » qui est celui du concepteur et celui d’ « espace vécu » qui est l’espace contradictoire de frottement entre les différentes catégories d’usagers.
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La seule issue positive du rapport de force qui se joue dans ce processus de construction de la ville est bien celle de la démocratie, de la voix du peuple contre les intérêts privés et l’arbitraire d’un Etat aux mains d’une administration élitiste et déconnectée du réelle, trop occupée à créer les conditions pour satisfaire aux intérêts d’une classe dirigeante aux intérêts convergents. (...)
Un message politique fort dont les tentatives de mise en œuvre dans le monde ont été nombreuses, que ce soit avec le mouvement des indignés, nuit debout, ou encore récemment en Allemagne, à Berlin, où les habitants se sont battus pour faire prévaloir leur droit à la ville sur les intérêts des bailleurs privés.
Un droit qui reste à définir et à construire, confronté aux défis de la privatisation galopante de l’espace public
A tort défini parfois comme un « syndicalisme du cadre de vie », le droit à la ville est bien plus que cela : il s’agit d’une utopie concrète. (...)
Aujourd’hui, ce droit est principalement menacé par la privatisation des espaces publics liée aux phénomènes de gentrification et d’exclusion des couches populaires des centres urbains. Une piste pour le renforcer serait alors de remettre de l’intérêt général dans l’usage des sols. (...)
on pourrait définir comme objectif prioritaire que la propriété des sols ne revienne non pas à l’Etat mais à la Nation, comme l’émanation de la souveraineté populaire.
Dans cette logique, si les sols appartiennent à tous, alors leurs usages devraient être contrôlés pour garantir que leur destination soit compatible avec le droit à la ville ainsi consacré.
Une telle définition mettrait ainsi en lumière la nécessité de garantir que les usages des sols peuvent être revus, transformés, amendés pour répondre de manière évolutive au plus près aux besoins des usagers, caractérisant ainsi le principe de la construction de la ville sur la ville pour y remettre de l’intérêt collectif.
Cette propriété serait inaliénable et donc incessible. La constitution permettrait en ce sens de garantir son imprescriptibilité au même titre que l’air ou que l’eau.
Cette visée serait alors conforme à l’idée d’un droit à la ville comme outil de définition des communs.
Il faut pour cela remettre en cause le sacro-saint droit de propriété. (...)
Appliquer le RIC à l’aménagement urbain et à l’usage des prérogatives de puissance publique, permettrait de donner le droit aux habitants de la ville de faire valoir « le droit d’habiter leur espace » selon Mark Purcell en leur octroyant le droit d’initier, par exemple, au travers d’un référendum d’initiative citoyenne au niveau local, une procédure d’expropriation à l’encontre des propriétaires d’un bâti dont l’usage serait contraire au droit à la ville, permettant ainsi sa réappropriation par la collectivité.
Il ne s’agit pas de ce fait de contourner la procédure actuellement définie : aucune volonté de supprimer l’enquête publique dirigée par le préfet, ni même de contourner la nécessité d’un arrêté d’utilité publique, mais simplement d’obliger à la mise en œuvre de cette procédure, si les conditions d’un référendum populaire sont remplies.
Il n’est pas non plus question de priver l’exproprié d’indemnités légitimes de dédommagement.
Il s’agit simplement et seulement de faire du peuple le dépositaire, par une procédure encadrée et démocratique, du droit de décider de l’affectation des sols et de leurs usages en garantissant que ceux-ci ne sont pas incompatibles avec le droit à la ville (...)
Dans cet esprit, le dégagisme est alors appliqué non pas aux hommes politiques mais bien aux intérêts capitalistes qui défigurent les villes en retrouvant la maîtrise des sols comme socles des pratiques et usages urbains. (...)
Il s’agit bien d’engager la démarchandisation des sols et donc des villes.
Un soutien nécessaire de l’Etat pour mettre en œuvre ce droit nouveau
Il appartiendra aux collectivités de faire ensuite les choix budgétaires permettant de mettre en œuvre ces choix majoritaires. Pour soutenir ces démarches populaires et citoyennes, les pouvoirs publics peuvent trouver des subsides utiles au travers des fonds divers existants et le soutien de l’Etat notamment par le biais de la future agence nationale de cohésion des territoires pensé comme l’outil du soutien des politiques locales.
Les pouvoirs publics devraient également dégager les moyens nécessaires à cette démarche notamment en supprimant quelques niches fiscales, particulièrement celles liées à l’investissement locatif qui pèsent toujours plus lourds dans les dépenses publiques avec une efficacité sociale quasi nulle. (...)
Il s’agit enfin de réorienter l’argent public, et donc l’argent de tous transité par l’impôt, vers la satisfaction de l’intérêt général, défini de manière bien plus étroite avec la population réhabilitée dans son rôle souverain. (...)