
Au lendemain du premier tour, quels enseignements tirer de la bataille sans limites que se sont livrée sur les réseaux sociaux les armées numériques des candidats à la présidentielle ? L’analyse du chercheur Nicolas Vanderbiest.
Comment s’est déroulé ce week-end de premier tour dans les différentes sphères d’activistes en ligne des candidats à la présidentielle ?
Certaines se sont totalement mises en pause, celles de Benoît Hamon et Emmanuel Macron notamment. Mais les communautés les plus denses et homogènes, celles qui forment de vraies « armées numériques », sont restées actives : celles de François Fillon, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et François Asselineau. Le hashtag « officiel » du premier tour lancé par Twitter France, #JeVote, a été récupéré par ces communautés pour poursuivre la propagande en faveur de leur candidat.
Après les « fake news », au cours de cette campagne, on a vu apparaître de faux sondages. Comment expliquez-vous ce phénomène et sur quels principes s’appuie-t-il ?
Le principe de toutes ces méthodes est le même : instaurer le doute. Les activistes investissent chaque domaine où ils voient des failles – les erreurs journalistiques, puis les erreurs des sondages avec l’élection de Trump et le Brexit – avec une tactique de contournement de celles-ci. C’est une tendance récurrente pour toutes les campagnes. L’arme des faux sondages portant un candidat en tête a surtout été utilisée par les partisans de François Fillon dans le combat contre le « vote utile » pour Emmanuel Macron. Ils jouaient sur le mimétisme produit par les sondages mais ma lecture est qu’ils les utilisaient surtout comme outil catalyseur en interne. Il s’agissait d’avantage de rassurer les militants suite aux affaires et de les inciter à rester plutôt que d’en amener de nouveaux.
Les fillonnistes ont-ils utilisé les mêmes modes d’action que les activistes du Front national ?
Les fillonnistes ont dépassé la fachosphère en matière de connaissances et de techniques. Ils utilisent des procédés moins directs et brutaux, plus élaborés, qui s’installent petit à petit. (...)
L’astroturfing est une technique qui consiste à donner à quelque chose, créé de toute pièces pour influencer l’opinion publique, l’apparence d’un comportement spontané et populaire. Le terme est issu d’un faux gazon créé par l’entreprise américaine Monsanto. Avec les faux sondages, la création de faux comptes, les fausses informations, ce sont surtout les soutiens du Front national et des Républicains qui ont pratiqué l’astroturfing, mais les mélenchonistes ont eux aussi utilisé des faux comptes pour propager leurs idées. (...)
Personne ne sait si ça fonctionne.
On a souvent évoqué l’activité d’internautes internationaux dans la propagande envers le Front national. Dans quelle proportion Marine Le Pen a-t-elle bénéficié d’un soutien à l’étranger ?
Seulement 10 % des activistes FN de Twitter viennent réellement de l’étranger. Il y a toujours eu des communautés ancrées dans des patriotismes internationaux autour de Marine Le Pen. Ils sont bien organisés et mènent des actions précises à un temps T mais ils sont tout au plus quelques milliers. Comme ils viennent de l’étranger, ils sont finalement peu visibles des internautes français. Ce phénomène n’est pas très important. (...)
L’autre communauté très active est celle de la France insoumise, équivalente en nombre à celles de Fillon et Le Pen. Elle est très jeune et très organisée mais n’utilise absolument pas les mêmes pratiques. Ils n’ont pas produit de « fake news » ou de faux sondages mais ont fait appel à des pratiques de propagande plus franches, avec un fort apport humoristique et la méthode du « cadrage » (« framing » en anglais), qui consiste à présenter certaines informations sous un angle avantageux pour son propre camp. Les rumeurs sur Macron ne sont par exemple jamais venues du camp de Mélenchon. On a souvent reproché aux mélenchonistes leur proximité avec la Russie, mais lorsque j’ai étudié les réseaux de Sputnik et Russia Today [les médias de propagande russe, NDLR.], je n’y ai trouvé aucune communauté active de soutiens de Mélenchon, seulement des partisans de Le Pen, Fillon et Asselineau. Pour ce qui est de la communauté d’Emmanuel Macron, elle s’en est très bien sortie alors qu’ils partaient de très loin. Mais il est clairement dernier, en terme d’activité numérique, dans le peloton des quatre candidats arrivés en tête. (...)