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Libération
Fiction raciste sur Danièle Obono : « Valeurs actuelles » au bout de sa logique
Article mis en ligne le 31 août 2020

On aurait donc mal compris le texte de Valeurs actuelles sur Danièle Obono. « Ce n’est pas un texte raciste », a tenté de plaider, en réponse à la condamnation unanime de son dernier fait de gloire journalistique, le directeur du magazine d’extrême droite, Geoffroy Lejeune. On aurait manqué, nous autres ignares, de perspicacité, de hauteur de vue, de connaissance de l’histoire.

Car il se serait seulement agi de rappeler que l’esclavage avait bénéficié de complicités de trafiquants africains – une vieille coutume de l’extrême droite est de minorer la responsabilité des Occidentaux dans l’affaire en mettant en avant celle de certains Noirs. Si cet infâme article imaginant la députée de La France insoumise dans un village tchadien du XVIIIe siècle donne la nausée, ce ne serait pas parce qu’il est bêtement à vomir, mais parce que l’esclavage est une horreur, dont Valeurs aurait tenu à nous rappeler l’affreuse réalité. Rien à voir, donc, avec les préjugés ou les obsessions du magazine, a affirmé Geoffroy Lejeune, qu’on a pourtant senti plus péteux que jamais à la télévision ce week-end.

Publier un texte anonyme sur une femme noire contenant des phrases comme « Danièle fut échangée avec des Toubous prévenus par un tam-tam » ou « elle était pour sa part heureuse d’être trop âgée pour subir ce douloureux écartèlement des lèvres permettant d’y glisser ces plateaux de bois qui leur donnaient ce profil qui l’effrayait malgré elle » n’aurait rien de raciste pour le directeur de l’hebdomadaire. C’est raciste, absolument. (...)

Interrogé par Libé sur l’identité de ce mystérieux rédacteur, nommé « Harpalus », Geoffroy Lejeune répond : « Je ne veux pas le dire car c’est inutile. J’assume la responsabilité dans cette histoire. »

Qui lit Valeurs actuelles de temps à autre sait parfaitement à quoi s’en tenir avec cet ex-magazine conservateur roupillant, qui a dérivé vers la radicalité à partir de 2012, sous la direction d’Yves de Kerdrel (qui a condamné publiquement le texte sur Danièle Obono). Son successeur nommé en 2016, Geoffroy Lejeune, qui rêve d’union des droites par l’extrême et a promu Zemmour « homme de l’année » en « une » début août, a poussé les feux plus loin encore, dans une direction militante, plus convaincue par la cause. Le fait est que le jeune patron de Valeurs, bientôt 32 ans, se sent assez fort pour imprimer des articles aussi répugnants que ce « voyage » de Danièle Obono dans l’Afrique esclavagiste – notons au passage que l’odyssée s’achève par une rédemption trouvée dans un monastère de bénédictines.
Interview d’Emmanuel Macron

Comment l’injustifiable a-t-il été rendu possible ? Geoffroy Lejeune ne peut pourtant pas s’appuyer sur un bilan commercial étincelant (...)

Ni sur les succès électoraux des candidats qu’il a soutenus, tel François-Xavier Bellamy, en déroute aux européennes. D’où vient alors l’incroyable assurance de Valeurs ? Nul doute que l’interview « exclusive » accordée par Emmanuel Macron en octobre dernier au magazine a beaucoup contribué à ce processus d’autolégitimation et d’autopersuasion.

Mais c’est aussi l’accueil réservé à cet hebdomadaire pas du tout comme les autres dans les médias audiovisuels qui a joué. Chose impensable il y a dix ans, les journalistes de Valeurs ont envahi les plateaux et studios. La nouvelle garde, composée de Charlotte d’Ornellas, Tugdual Denis, Louis de Raguenel ou Raphaël Stainville, squatte les émissions de débats construites sur la culture du clash, à l’invitation de chaînes très conciliantes. Ex-éditorialiste politique numéro 1 de LCI, Geoffroy Lejeune vient d’être appelé par Cyril Hanouna à la table des chroniqueurs de Balance ton post !. On arrête quand le délire ?

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(...) Une telle traque rappelle celle pratiquée par Valeurs actuelles à l’encontre de Christiane Taubira. Comme si l’hebdomadaire ne supportait pas qu’une femme noire sorte de l’invisibilité pour se retrouver aux affaires. Dans la distribution des rôles que martèle le journal à longueur de livraison, les Noirs, comme les Arabes, ne sauraient être la France. Mais au contraire le péril obscur prompt à défaire ce qui fut accompli, durant plus d’un millénaire, par la monarchie puis, dans une moindre mesure, par la République. (...)

L’ensemble du dernier numéro enchâssant le fâcheux feuilleton d’été se présente comme une déploration rageuse. Avec toujours l’ambivalence propre à l’extrême droite française, qui redoute et attend le chaos : n’est-ce pas à la faveur de celui-ci, en 1940, qu’une telle force politique put exercer le pouvoir ? D’où cette fascination-répulsion pour le fracas, les brasiers, les cataclysmes, le désordre et la zizanie.

Le titre de une promet abîmes et monstruosités, misant sur l’« ensauvagement », ce vocable que Mediapart a récemment décrypté (lire ici). Le magazine décline, de page en page, de terrifiantes turpitudes : « Homicides, viols, agressions… Chronique d’un été meurtrier ». Puis : « Le fléau des pickpockets roumains ». Rien ne va plus dans ce monde assailli par les « barbares ».

Demeurent quelques points d’ancrage. À l’intérieur, Le Puy du Fou, qui consacre heureusement « la victoire des “médiévo-zemmouriens” ». À l’extérieur, le trumpisme, comme le rappelle une citation accusatrice, à l’encontre des Européens par trop multilatéralistes, lancée par le secrétaire d’État Mike Pompeo et mise en relief par Valeurs actuelles : « Nos amis m’ont dit qu’ils ne voulaient pas que l’embargo sur les armes soit levé, pourtant ils ont choisi de s’aligner sur les ayatollahs. » (...)