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Mediapart
France, pétrole, argent, pouvoir : le destin de la famille Bongo
#françafrique #colonialisation #neocolonialisme
Article mis en ligne le 3 septembre 2023
dernière modification le 2 septembre 2023

Le coup d’État militaire du 30 août au Gabon semble mettre fin à 56 ans de pouvoir de la dynastie Bongo. Le règne de cette famille a reposé avant tout sur les revenus du pétrole et sur ses liens avec la France.

(...) Au départ, tout commence avec Jacques Foccart, conseiller de l’Élysée pour les affaires africaines et malgaches de 1959 à 1974. Nous sommes en 1965 et le président du Gabon, Léon Mba, placé au pouvoir par la France, est mal en point, malade. Foccart et le général de Gaulle lui cherchent un successeur, qui sera chargé de veiller sur les intérêts de la France dans le secteur pétrolier, mais aussi minier et forestier du Gabon.

Jacques Foccart finit par jeter son dévolu sur Albert-Bernard Bongo, 32 ans, directeur de cabinet de Léon Mba. Au début, il n’est pas vraiment convaincu par cet ancien officier de l’armée française spécialisé dans le renseignement. Albert-Bernard Bongo est « un jeune autoritaire, qui sait ce qu’il veut, qui aurait de la fermeté, mais pas la capacité à gouverner », estime-t-il. (...)

Ce jugement révisé, les hommes de Foccart, dont l’ambassadeur de France à Libreville, Maurice Delauney, font modifier la Constitution gabonaise pour que le jeune Bongo succède à Léon Mba lorsque ce dernier meurt d’un cancer en 1967, quelques mois seulement après une élection présidentielle vite organisée. Albert-Bernard Bongo commence ainsi par terminer le mandat du défunt président qui court jusqu’en 1974.
La manne de l’or noir

Albert-Bernard Bongo, qui devient Omar Bongo Ondimba après s’être converti à l’islam au début des années 1970, arrive au pouvoir alors que la production pétrolière et ses revenus ne cessent d’augmenter, au point que le Gabon devient l’un des premiers producteurs africains.

Grâce à cette manne, Omar arrose tout le monde : les partis politiques français, une partie de l’opposition et sa famille. Quand il le faut, l’argent du pétrole lui donne aussi les moyens de tout verrouiller sur le plan sécuritaire. Il a tout de même besoin du soutien militaire de la France lorsqu’il se trouve confronté à des mouvements de protestation en 1990, après la mort d’un opposant, et en 1993 après une élection présidentielle frauduleuse.

Entre Paris et lui, les liens sont quasi indéfectibles (...)

Avec son Parti démocratique gabonais (PDG), créé en 1968 et parti unique jusqu’en 1990, il s’organise pour se constituer une large clientèle, à la fois politique et administrative, parmi les cadres des différentes régions du Gabon, et fait en sorte que les ambitions financières et politiques des uns neutralisent celles des autres. Le pays a l’avantage d’être grand mais peu peuplé (2,3 millions d’habitant·es aujourd’hui) et donc plus facile à contrôler, sans doute.
Richesse familiale

Omar Bongo a aussi la particularité de construire une kyrielle d’alliances matrimoniales, élargissant toujours plus le cercle familial (...)

Certains de ses rejetons occupent des positions stratégiques autour de lui : son fils Ali est ministre de la défense au moment de sa mort, en 2009, sa fille Pascaline est sa directrice de cabinet, Christian, un autre fils, est directeur de la Banque gabonaise de développement, etc.

Une partie d’entre eux font des affaires et la famille devient peu à peu actionnaire d’une multitude d’entreprises gabonaises et étrangères implantées au Gabon (...)

Pendant toutes ses décennies au pouvoir, la famille Bongo devenue richissime et la bourgeoisie qui l’entoure évoluent dans l’opulence, confondant caisses publiques et personnelles. (...)

Pendant ce temps, la majorité des Gabonais regardent, sans profiter de rien, réduits au silence quand ils essaient de contester l’ordre établi par la dynastie. Aujourd’hui, près de 40 % de la population gabonaise vit sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage atteint 37 %, alors que le PIB est élevé par rapport à la moyenne africaine. Le pays s’est même de plus en plus appauvri au fil des années.
Guerres intestines

Mais tout ne dure pas éternellement. L’empire familial se fracture en partie en 2009 après le décès du patriarche Omar. Ali et Pascaline se disputent pour prendre la suite et c’est finalement Ali qui remporte le morceau. Grâce au savoir-faire électoral du Parti démocratique gabonais en matière de trucage, au soutien de la présidente de la Cour constitutionnelle mais aussi de Paris, il devient président. (...)

L’épine dorsale de la famille ayant disparu, les relations intra-dynastie se dégradent. (...)

Réélu dans des conditions douteuses en 2016, Ali Bongo ne se met pas seulement à dos une partie des Bongo. Paris, qui l’a aidé dans sa conquête du pouvoir, finit par le voir d’un mauvais œil lorsqu’il remet en cause des intérêts français. Un exemple : en 2014, Total, alors second producteur de pétrole du Gabon derrière Shell, reçoit un avis de redressement fiscal de 585 millions d’euros. (...)

L’accident vasculaire cérébral dont est victime Ali en 2018, et qui l’a considérablement affaibli, rétrécit davantage le noyau familial qui l’entoure : il est depuis surtout question de son épouse, Sylvia, et de leur fils, Noureddin Bongo Valentin. L’un et l’autre passent pour les véritables dirigeants du pays. Noureddin, 31 ans, a été entre 2019 et 2021 le « coordinateur général des affaires présidentielles » avant de devenir le « conseiller stratégique » de son père.

Libreville bruisse depuis quelques années de rumeurs multiples lui prêtant des ambitions présidentielles. Une plainte déposée en 2020 en France par deux ressortissants français, dont un ancien directeur de cabinet d’Ali Bongo, dont il a été très proche, l’accuse d’avoir orchestré une opération de règlements de comptes personnels et politiques, qui a conduit plusieurs personnalités en prison.

Mercredi 30 août, tout s’est arrêté pour ce jeune homme, qui a quasiment l’âge de son grand-père quand celui-ci est arrivé au pouvoir : il a été placé en détention, ainsi que plusieurs de ses proches qui occupaient des postes clés, par les militaires qui ont pris la tête de l’État. Son père, lui, est en résidence surveillée.

D’Omar à Noureddin, le destin de la dynastie Bongo semble avoir pris un tournant. L’argent du pétrole, lui, va continuer de couler. Au profit de qui ?