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Fréchendets : un désir de démocratie directe - Acte II
/En Bigorre
Article mis en ligne le 8 juillet 2021
dernière modification le 7 juillet 2021

Il y a un an le nouveau conseil municipal de Fréchendets, petit village des Baronnies pyrénéennes, prenait ses fonctions. Avec le projet d’instaurer une démocratie directe pour gérer les affaires de la commune. Juillet 2021, rencontre avec quelques habitants pour avoir leur retour d’expérience.

Débora, adjointe au maire : Au départ, le confinement et les restrictions sanitaires nous ont empêché d’avancer comme on voulait. Seul le conseil municipal avait le droit de se réunir. On a respecté les normes sanitaires mais on a mis en place un système d’information pour garder le contact. Une à deux fois par semaine, on fait passer un mail ou une lettre à tous les habitants, avec toutes les informations nécessaires. Au sujet de tout ce qui est en discussion au conseil municipal. Cette information contient les possibilités légales, les différentes options qui se présentent, les avantages et les inconvénients, les données financières. Les habitants apprécient cette communication, il y a des retours, ça réagit. Certains font remonter des problématiques à traiter. Ensuite on a éprouvé la nécessité de mettre en place des questionnaires, un genre de référendums, sur des sujets qu’il fallait traiter. Il y en a eu un sur le projet de parking. Et un autre sur la vente d’une parcelle communale. 33 personnes sur 37 se sont exprimées. Le dépouillement a été anonyme et on a retransmis les résultats à la population. Depuis le déconfinement progressif, les choses ont évolué : on a mis en place un conseil municipal élargi hebdomadaire où tout le monde est invité et peut s’exprimer. Et on garde des conseils municipaux réservés aux délibérations. L’assemblée élargie a lieu toutes les semaines. Il n’y a pas d’obligation d’y participer mais on a eu jusqu’à 13 personnes présentes. Toutes les affaires de la commune sont mises en débat et deux ou trois séances sont nécessaires pour arriver à un consensus général. Le critère essentiel est l’intérêt général de la commune. Lorsqu’il y a des rendez-vous avec des experts (ADAC, SDIS, CRPGE), les habitants concernés peuvent y assister avec les conseillers municipaux.

Quelle est la sociologie du village ? (...)

Je comprends maintenant ce que veut dire « démocratie participative ». Avant c’était un concept, une idée. Ca m’a montré qu’on peut avoir une vision et une implication différente. C’est présent dans ma vie de tous les jours : avec des choses à lire, à évaluer, à réfléchir...

Et cela a apporté une qualité de rapport entre les habitants : du respect, du partage, de la solidarité. Bref, des valeurs qui me tiennent à coeur. J’ai envie de continuer à participer. On se connaît mieux qu’avant. L’ambiance générale du village a énormément changé !

(...) Hélène, habitante du village : On travaille sur 2 projets actuellement : un projet de parking, parce que c’est un manque dans le village qui nous empêche d’organiser des choses. On a une salle des fêtes avec cuisine, une église, mais pas de places de parking pour accueillir du public. Un projet est à l’étude mais rien n’est décidé. C’est lié à un projet beaucoup plus flou qui serait de faire de la programmation culturelle. (...)

L’autre projet est celui de l’installation d’une jeune productrice de petits fruits. Sur une parcelle communale qu’on peut lui vendre. Et en parallèle on lui louerait une parcelle agricole. Ce projet est né d’une rencontre entre cette jeune femme et Christine la maire du village. Après concertation on s’est mis tous d’accord pour ce nouveau projet. Economiquement cela fait une activité supplémentaire sur le village. C’est une activité agricole respecteuse de l’environnement.

Ensuite il y a des projets de chantiers participatifs pour entretenir l’espace public (...)

Les projets qui émergent sont-ils différents de ceux qui émergent par la démocratie représentative ?

Christiane, habitante du village : Non, pas différent dans leur nature, mais la réponse est différente. Pour le projet de la vente de la parcelle, on se dirige vers un projet plus social. Avec l’ancienne manière de faire, ca aurait été fait dans l’unique intérêt financier. Et on en aurait rien su : on aurait vu débarquer des nouveaux voisins sans rien savoir !

Quelle est l’histoire de la démocratie dans ce village ? (...)

Christiane, habitante du village : On était pas prêt dans nos têtes ! J’étais pas convaincue par le fonctionnement de la démocratie représentative. Le conseil municipal était dysfonctionnel, on pouvait pas continuer comme ça. Au départ, avant les élections, quand on faisait les réunions sur la démocratie participative, un jour les gens ont affiché des grandes feuilles avec des idées de projets. Ca m’a choquée : ça m’a fait penser à une dictature ! Moi je veux ci, moi je veux ça… Avec le temps je le comprends autrement. J’avais pas imaginé que ça allait se passer comme ça.

Le nouveau système est bien : c’est bien que tout le monde donne son avis. Recevoir autant d’informations, il a fallu s’y faire ! Entre ne rien savoir et tout savoir… c’est comique ! Faut apprendre à fonctionner en groupe. A avoir des relations normales. J’ai l’impression que c’est bien parti. (...)

Jacqueline, habitante du village : La démocratie représentative, on y est habitué ; c’est confortable. Mais on n’est pas satisfait. J’ai apprécié de voir débarquer ce projet de démocratie participative car j’ai toujours aimé le travail d’équipe. Bien sûr c’est difficile d’intégrer de nouveaux codes pour l’ensemble de la population, parce qu’il y a des histoires qui traînent entre certaines personnes, un passif et cela freine le processus. Aussi les débuts ont été difficiles et décevants. Il y a eu un grand vide. L’échec de certains aux élections les ont fait déserter. Mais maintenant, après que la pandémie nous a enfin permis de nous retrouver, le travail d’information commence à payer

(...) Le travail en équipe n’est pas facile car cela nous demande de sortir de nos egos, mais nous sommes maintenant dans une phase où chacun s’écoute, où les points de vue se partagent, où les dossiers avancent pas à pas. (...)

Au fil des ans, j’ai vu les dégâts de l’économie de marché, la montée des inégalités qui créent des fossés entre les gens, entre les plus riches et ceux qui sont au bas de l’échelle. Le système est géré par des gens qui vivent une autre réalité ! Je ne suis pourtant pas manichéenne, il y a des politiciens qui essaient quand même de faire des choses, mais la plupart ont abandonné, ne se consacrent plus qu’à leur carrière et à leurs avantages. (...)

Christine Monlezun, maire du village : oui, bien sûr, ca demande plus d’investissement pour tout le monde, habitants et élus ! On livre une grande quantité d’informations. On travaille dans une temporalité différente. Il faut éviter l’urgence et donc anticiper beaucoup : faire participer en amont afin de donner le temps de la réflexion. Il faut que chacun puisse évaluer les choses. Il faut agir et pas réagir. Ca demande de l’observation et du temps. Moi ça ne me dérange pas. Si on y réfléchit bien, il y a très peu d’urgences… Là où il y a urgence c’est de rétablir un processus démocratique ! (...)

Des gens disent que c’est facile parce qu’on est un petit village. Mais que tu sois 30 ou 400 il y a les même problématiques relationnelles. Je crois que c’est une expérience, un laboratoire. Il n’y a pas de recettes : ça s’invente au fur et à mesure. (...)

Moi je veux partager le pouvoir. Mais je garde la police de l’assemblée : je veille à l’écoute, au respect de la parole des uns et des autres. Je veux des réunions pacifiées. On est dans un travers culturel de l’opposition. Mais en fait, quand on s’écoute vraiment on s’aperçoit que les points de vue ne sont pas si éloignés que ça, et que le consensus est possible, à condition d’avoir en tête l’intérêt général. (...)