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George Monbiot : « On ne sauvera pas la planète en achetant des baskets écologiques »
Le journaliste George Monbiot, 45 ans, est une personnalité phare du militantisme écologiste en Grande-Bretagne.
Article mis en ligne le 3 août 2019

La dégradation des conditions de vie sur Terre est rapide et inquiétante mais George Monbiot, dans cet entretien, refuse de céder au fatalisme. Selon lui, la reprise en main de notre destin passe par l’implication politique des citoyens, notamment à l’échelle locale, où s’écrivent les histoires du changement.

George Monbiot — Il faut se sortir de la tête l’idée qu’on sauvera la planète en achetant des baskets en coton biologique. C’est tout simplement faux. On nous bassine avec cette idée selon laquelle on peut voter avec son porte-monnaie. Mais c’est une illusion de croire que votre ticket de caisse peut être un moteur du changement décisif. Aussi bien intentionnée soit la consommation éthique, celle-ci ne sera jamais la recette pour une transformation en profondeur. Voilà pourquoi on a besoin du groupe. Je sais que certaines personnes sont frileuses par rapport à l’idée de communauté. Dans les milieux progressistes de gauche, en particulier, on réagit en général de façon assez réservée à l’idée que la géographie soit à l’origine d’un sentiment d’appartenance, parce que cette idée charrie un parfum de chauvinisme et d’exclusion. Mais ce n’est pas une fatalité. (...)

la plupart des citoyens auront confiance dans des acteurs politiques qui sont proches d’eux, qui partagent leurs soucis et leurs indignations. (...)

On voit émerger dans les villes de nombreuses initiatives en matière d’alimentation, d’énergie, de mobilité. Comment faire en sorte que ces initiatives locales ne servent pas d’excuse pour masquer les lacunes de la gestion publique ?

Cette résistance à petite échelle, ce fourmillement d’alternatives locales, c’est un point de départ très important, le socle de base d’une culture de participation, cela entretient la vitalité des communautés. Mais cela ne suffit pas, loin de là. Pour faire la différence, il faut traduire ces initiatives en une réelle politique de participation. Un cas d’école est celui de la capitale islandaise, Reykjavik. Là-bas, la ville est réellement administrée par les citoyens. (...)

On pourrait penser que les mandataires politiques y voient une atteinte à leurs prérogatives, mais beaucoup vivent ce processus comme une libération. Enfin, ce ne sont plus toujours eux qui doivent, seuls, amener les idées et prendre les décisions !

Partager le pouvoir signifie en effet partager la responsabilité, et partager les reproches si le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. Si un projet tourne à l’échec, on peut dire : les habitants le voulaient, ça a foiré, mais nous avons essayé ensemble. Cette façon de procéder réduit le fossé entre le citoyen et la politique, et elle accroît la légitimité des mandataires politiques locaux.

(...)

les budgets citoyens — ou budgets participatifs — sont incontournables. On ne peut véritablement parler de participation que si les citoyens ont la possibilité d’exercer un contrôle direct sur l’utilisation de l’argent public. (...)

Grâce à ça, les habitants acquièrent une tout autre perception du mécanisme et de l’utilité des impôts. Ils découvrent à quoi sert l’argent public, ils réalisent que beaucoup plus de choses sont possibles quand l’argent est regroupé dans un budget municipal plutôt qu’investi de manière individuelle.

Après la première année d’expérimentation, les citoyens de Porto Alegre ont décidé ce que tout leader politique traditionnel considérerait comme un suicide politique : ils ont proposé une augmentation des impôts ! (...)

Plus l’échelle est grande, plus la démocratie devient diffuse et plus grande est aussi la sensation d’éloignement par rapport au processus de décision. Des institutions mondiales ne seront jamais parfaites. Toutefois, je suis convaincu que nous pouvons améliorer la manière dont fonctionnent aujourd’hui le Conseil de sécurité de l’ONU, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, les différentes zones de libre-échange, ou encore la Banque centrale européenne.

Quand on réfléchit à la façon de donner un effet national à une multitude d’initiatives locales, il y a beaucoup à apprendre ce que Bernie Sanders, figure de proue de l’aile gauche du Parti démocrate aux États-Unis, appelle le « big organizing ». C’est une méthode qui ne dépend pas des pouvoirs financiers et qui considère en outre la volonté humaine comme centrale dans le processus de changement. (...)

Je connais la vitesse à laquelle nous détruisons nos écosystèmes, mais s’en lamenter continuellement n’aide pas à mobiliser les citoyens, au contraire. Je répète depuis trente ans déjà que nous n’avons plus le temps de tergiverser, qu’il est urgent d’agir. Cela ne se passe pas, car nous nous heurtons toujours à des personnes dont les intérêts économiques sont inextricablement liés aux énergies fossiles. Ces personnes-là préfèrent un monde en ruines plutôt qu’un changement de trajectoire. Voilà pourquoi nous n’arriverons à rien tant que nous ne changerons pas de modèle. Le système doit être changé radicalement, et ce n’est possible que par la voie politique. Se concentrer exclusivement sur la question climatique, ça ne mène qu’à des mesures à la marge. Si nous voulons protéger efficacement notre environnement naturel, nous devons nous attaquer à la politique et à l’économie. Ce changement commence au niveau local. Et quand je regarde ce qui bouge dans nos quartiers et dans nos villes, quand je vois ce bout de nature qu’on a réussi à préserver en plein cœur d’Oxford, alors je ne peux qu’être plein d’espoir. (...)

Dans ce monde, les décisions cruciales ne se prennent pas dans un rayon de supermarché, mais bien plus haut, dans les conseils d’administration des firmes de l’agroalimentaire, dans le top management de l’industrie de la confection, ou au sein du pouvoir législatif.

Je ne dis pas que les consommateurs ne peuvent pas essayer d’adapter leur comportement d’achat, mais la véritable réponse ne pourra venir que des autorités publiques. (...)

Nous vivons dans un monde où les publicitaires ont acquis une connaissance si fine de la psychologie humaine qu’ils savent parfaitement comment nous faire craquer. En laboratoire, on parvient à trafiquer de façon si sophistiquée les aliments que nous sommes devenus esclaves au sel et au sucre ajoutés, aux graisses et à tout ce qui nous pousse à consommer toujours plus. Et malgré tout ce contexte, quand vous devenez trop gros, c’est de votre faute ? Cela ne va pas. Comment s’y opposer ? Simplement en vous unissant et en faisant à nouveau de la politique. (...)

Nous devons à présent échafauder un plan crédible qui indique comment nous pouvons changer notre relation à la société, à la politique, à l’économie et à la nature.

C’est très facile de devenir cynique et de décrire la politique comme dénuée de sens. Parfois, c’est même mieux pour votre santé mentale. Mais ça ne mène nulle part. (...)

Si nous tournons le dos à la démocratie que nous avons construite — et qui est loin d’être parfaite — alors les fascistes l’emporteront. La menace est là, partout en Europe, en Amérique latine, en Asie et aux États-Unis.