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Gilets jaunes : il y a un an, Ruth Elkrief paniquait
Article mis en ligne le 5 décembre 2019
dernière modification le 4 décembre 2019

Personne n’exprime mieux le rôle social et politique actif que jouent les éditocrates en temps de conflit social que… les éditocrates eux-mêmes. Le 4 novembre 2019, Ruth Elkrief commente un documentaire de BFM-TV intitulé « Macron – Gilets jaunes : l’histoire secrète ». Un débat télé qui, au-delà de faire la part belle au « journalisme de couloirs », va donner lieu à un retour d’expérience de la part de la présentatrice-phare de BFM-TV. Où il est question de l’émission « Sortir de la crise » diffusée le 5 décembre 2018, et de la panique qui a gagné Ruth Elkrief lorsque des gilets jaunes lui ont fait part d’une intention à laquelle elle ne s’attendait pas…

Gardiens de l’ordre : ce rôle social et politique plus ou moins assumé par les éditocrates les plus en vue, n’a sans doute jamais été mieux exprimé que par Ruth Elkrief, près d’un an après le début du mouvement des gilets jaunes. Une confession au cours de laquelle la présentatrice se laisse aller au mépris de classe qui lui sied tout particulièrement : ainsi les gilets jaunes sont-ils tolérés quand ils disent leurs souffrances. Mais dès l’instant où ils revendiquent, voire pire, posent – même brièvement – la question du pouvoir, l’appareil médiatique « montre ses dents… et mord cruellement ». Les mots de Michel Naudy n’ont pas pris une ride, ce dernier évoquant le rôle des grands médias face aux classes populaires, et plus précisément face à celles et ceux qui se révoltent. (...)

Et la demi-mesure ne fut pas au rendez-vous :

À la faveur du mouvement des « gilets jaunes », nous assistons au retour de l’infamie. […] L’insupportable malédiction est de retour : les Français ont tenu à rappeler qu’ils étaient les plus antisémites et peut-être les plus racistes en Europe. C’est épouvantable.

Un basculement exemplaire, auquel ne rêvait sans doute pas l’écrivain Édouard Louis, quand il écrivait le 4 décembre :

Pour les dominants, les classes populaires représentent la classe-objet par excellence, pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu ; objet manipulable du discours : de bons pauvres authentiques un jour, des racistes et des homophobes le lendemain. Dans les deux cas, la volonté sous-jacente est la même : empêcher l’émergence d’une parole des classes populaires, sur les classes populaires. Tant pis s’il faut se contredire du jour au lendemain, pourvu qu’ils se taisent.

Et de fait, si des gilets jaunes ont fait effraction sur les plateaux médiatiques (en particulier au début), les rappels à l’ordre, les injonctions à condamner les violences, le pilonnage de certaines de leurs revendications ont rapidement cadencé (et cadenassé) le débat, constituant, à la chaîne, les mécanismes par lesquels la plupart des éditocrates se sont échinés à décrédibiliser la parole des manifestants, et leur mouvement. Le tout justifié par un esprit de bonne camaraderie, que synthétisait le 6 décembre l’éternel phare de la pensée, Bernard-Henri Lévy :

Que Macron parle ou pas, que l’on soit d’accord avec lui ou non, qu’on soit pour ses réformes ou contre, n’a, à cet instant, aucune importance. Face à la montée en puissance des fachos, des factieux et des ennemis de la République, une seule option digne : Soutien au Président Macron.

À sa suite le même jour, un économiste médiatique se positionnait à l’identique, honorant la place de choix que lui avait réservée le film « Les Nouveaux chiens de garde » en 2012 :

Élie Cohen : Les journalistes doivent se rappeler qu’ils ne sont pas de simples observateurs mais qu’ils font partie des élites dont le rôle est aussi de préserver le pays du chaos (...)

Et l’on peut dire, sans trop craindre l’approximation, que le message a été reçu cinq sur cinq, et continue de l’être.

Reste que, pour finir, ces derniers positionnements ont au moins le mérite d’être assumés. Au bout d’un an, d’autres éditorialistes plus timides arrivent encore à plaider l’« incompréhension », voire la fatalité. Selon Thomas Legrand, « avec les réseaux sociaux et la fin des grands récits collectifs, il devient impossible, de faire coïncider vérités individuelles et collectives ». (...)