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AFP
"Gilets jaunes", "lycéens" ou simples "passants" : la vie d’après des éborgnés
Article mis en ligne le 5 avril 2019

Des vies "gâchées", de l’incompréhension ou de la colère : pendant deux mois, l’AFP a recueilli le témoignage de 14 "gilets jaunes" mais aussi de "passants" ou "lycéens" grièvement blessés à l’oeil au cours des manifestations des derniers mois, au coeur des accusations de violences contre les forces de l’ordre.

A l’instar de Jérôme Rodrigues, l’une des têtes d’affiche des "gilets jaunes", les regards mutilés de Vanessa, Patrick ou Alexandre ont été érigés en symbole des "violences policières". 23 personnes ont affirmé avoir perdu leur oeil depuis novembre, selon les recensements faits par le journaliste indépendant David Dufresne et son projet "Allô place Beauvau ?" ou par le collectif militant "Désarmons-les". (...)

Ils sont 21 hommes et 2 femmes, âgés de 14 à 59 ans, blessés à Paris, Bordeaux, Toulouse, La Réunion... Souvent, ce sont des "gilets jaunes" revendiqués, parfois des "lycéens" ou de simple "passants", contestant tout lien avec le mouvement.

Beaucoup rendent le lanceur de balles de défense (LBD) responsable de leur blessure, mais certains pointent aussi du doigt les grenades GLI-F4, celles de désencerclement, les "DMP", voire des grenades lacrymogènes.

Jeudi 4 avril, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a indiqué sur France 2 que "s’il y a eu des fautes, il y aura des sanctions", ne concédant que des "fautes marginales" des forces de l’ordre, dont il a défendu l’action.

La plupart ont un diagnostic net concernant l’un de leurs yeux : pour 14 d’entre eux, selon les certificats médicaux consultés par l’AFP, la vue est perdue et/ou l’oeil n’est plus. Deux pronostics sont en évolution péjorative, vers la cécité. Dans au moins un cas, enfin, la blessure est moins visible, l’oeil toujours présent, mais seules quelques formes apparaissent.

Si certains essaient de donner un sens à cet événement, comme Patrice, 49 ans, qui y voit un "passeport pour un combat contre les armes dites non létales", ils sont nombreux à broyer du noir, pour certains prostrés chez eux ou vivant comme des "taupes", dans le noir. "J’aurais préféré prendre dix ans de prison", se désole Alexandre. L’un a même affirmé à l’AFP avoir fait une tentative de suicide.

(...) Depuis que j’ai été blessé je me demande pourquoi il m’a tiré dessus ce CRS. Où était l’acte de violence ? J’aimerais bien que ce CRS se manifeste, qu’il vienne devant moi, et que droit dans les yeux il me dise pourquoi il m’a tiré dessus. Parce que là il a gâché ma vie. Le plus compliqué, c’est d’apprécier les distances, quand tu te sers un verre d’eau. Il faut tout réapprendre. Moi j’étais paysagiste, depuis trois ans dans une entreprise. J’intervenais principalement chez des personnes âgées, mais depuis j’ai beaucoup de mal à retrouver du boulot…. Je ne pense pas qu’un patron va reprendre un ouvrier comme moi avec un œil en moins. Il ne va pas pas prendre le risque de mettre un autre ouvrier en danger. Pour retrouver du travail ça va être super compliqué ●

(...) J’ai un enfant et je me demande ce que va devenir la France. Elle part mal, les gens crèvent de faim. La misère, je la vois tous les jours quand je viens travailler à Paris, c’est effroyable. Je voulais crier ma colère, me battre pour que mon fils et ceux de mes proches aient un avenir. C’était ma deuxième manifestation à Paris. Paris c’est la capitale, c’est symbolique, c’était important d’y manifester. Je ne suis pas leader, mais je n’ai pas peur de manifester, donc j’étais souvent en première ligne, ils ont dû me prendre pour un leader. (...) J’en veux même pas aux flics (...) J’en veux juste à ces politiciens, qui donnent des ordres effroyables.

Je suis toujours gilet jaune. Ces gens sur les ronds-points sont incroyables. J’ai des petites vieilles qui me donnent 10 euros en me disant ’tiens, pour t’aider’ alors qu’elles gagnent 600 € par mois ●