
En soutenant les initiatives porteuses d’un autre modèle de société, la ville de Grande-Synthe (Nord) fait figure de laboratoire. La réalisatrice Béatrice Jaud en a fait le sujet de son film « Grande-Synthe, la ville où tout se joue »
(...) . Quand on sort du film, on aime beaucoup aller à la rencontre du public, mais surtout faire en sorte que les gens se mettent à parler entre eux sur leur territoire pour trouver des solutions locales. Mon rôle est de créer l’étincelle qui va faire que les gens vont se parler, se retrouver, puis poursuivre une route commencée ensemble. À la suite de projections des films que nous avons faits avec Jean-Claude, notamment Nos enfants nous accuseront, des associations se sont formées, des cantines sont passées en bio, des mairies ont changé leur fusil d’épaule. S’il y a aujourd’hui 13 cantines bio à Grande-Synthe, c’est aussi parce que le maire de la ville, Damien Carême, a vu ce film. En rencontrant Grande-Synthe, je me suis dit que toutes les conditions étaient réunies pour faire un film moi-même.
Pourquoi Grande-Synthe ?
Je suis venue pour la première fois à Grande-Synthe en juin 2015 pour présenter le film Libres ! sur la transition écologique. Je suis arrivée à la gare de Dunkerque et je me disais que j’allais voir la mer, mais à la place, j’ai vu des industries, des usines, et pour la première fois j’ai vu cette zone hallucinante qu’est Arcelor Mittal et ses 14 usines Seveso. Un peu plus loin, il y avait la centrale nucléaire de Gravelines. Tout ce qui me rendait craintive pour l’environnement, tout était là, à ma droite. Et puis, à ma gauche, il y avait la ville de Grande-Synthe, qui ressemblait fort aux villes de banlieue parisienne : HLM, cités ouvrières… Enfin, j’entre dans le cinéma, et là, la rencontre avec le public est absolument incroyable, les personnes sont ouvertes, renseignées, accueillantes. À l’hiver 2015, se surajoute la situation absolument insoutenable du camp du Basroch, un camp de migrants qui, à l’époque, était complètement sens dessus dessous, avec des toiles de tente qui s’envolaient, des migrantes et des migrants avec des pieds dans la boue, des températures descendant jusqu’à - 15 °C, etc. Une situation absolument insupportable, inhumaine… à laquelle la mairie a répondu en montant un autre camp. C’est cette énergie-là qui me fait dire : je ne peux pas ne pas filmer ce qui se passe à Grande-Synthe. (...)
J’ai la sensation que Grande-Synthe accumule toutes les difficultés que nous laisse le XXe siècle, que c’est une ville où tout se joue. C’est donc aussi un endroit où l’on peut tout tester, expérimenter des alternatives, trouver des solutions. (...)
Quelles sont les alternatives qui sont présentées dans votre film ?
Ce film, c’est à la fois le portrait d’associations et le portrait d’une municipalité et d’un maire, Damien Carême. C’est ensemble que les citoyens, les citoyennes, les associations et la municipalité cherchent, tentent, mettent en place des solutions, avec enthousiasme et humanisme. C’est la dignité de la population qui est l’objectif. Le camp de la Linière, qui a accueilli environ 1.500 personnes pendant un an a été une véritable alternative portée à la fois par les associations et la municipalité. Jusqu’à l’incendie du camp, en avril 2017, l’accueil a pu se faire dans des conditions dignes. À la suite de l’incendie, le campement sauvage de Puythouck s’est mis en place et, là encore, des personnes ont continué tous les jours à apporter soutien, nourriture, etc. aux côtés d’associations comme Emmaüs, Salam… Pour les réponses aux problématiques sociales, lorsque j’ai filmé, elles étaient encore balbutiantes. Mais je sais aujourd’hui que Damien Carême est en train d’étudier le fait de mettre en place un revenu minimum pour les personnes les plus démunies. Ça, c’est assez innovant. Enfin, sur la problématique environnementale, je me suis occupée des jardins partagés, des jardins ouvriers bio, qui permettent socialement d’aider les gens. L’écologie n’est pas une histoire de bobo à Grande-Synthe, c’est une aide à mieux vivre. Quand on a un bout de terrain et qu’on peut cultiver ses légumes, on se nourrit correctement et on partage du temps et de la solidarité avec les autres. Ça crée du mieux vivre et du mieux-être. (...)