
« Nous n’avons pas besoin de nouvelles routes, mais de nouvelles idées », avait l’habitude de dire M. Steve Stevaert, lorsqu’il était bourgmestre de Hasselt, en Flandre (Belgique). Parmi les innovations dont il est l’auteur figure l’instauration de la gratuité totale des transports publics dans sa commune.
(...) Ce principe, aux multiples implications économiques et sociales, est également appliqué dans la communauté d’agglomération de Châteauroux (CAC, 76 000 habitants), dans le centre de la France. Une ville comparable à Hasselt (74 000 habitants) : les deux communes ont le même rang administratif (chefs-lieux respectivement du département de l’Indre et de la province du Limbourg) et ont mis en place la gratuité depuis déjà quelque temps — juillet 1997 pour Hasselt, décembre 2001 pour Châteauroux.
Hasselt génère un important « tourisme de shopping ». Ainsi, selon une étude de la société d’immobilier d’entreprise Healey & Baker (1), la Hoogstraat, principale artère du centre- ville, attire chaque semaine 160 000 personnes — contre 230 000 pour le Meir, son équivalent à Anvers, municipalité pourtant presque dix fois plus peuplée —, et autant d’usagers potentiels des transports publics. La gratuité s’est accompagnée d’un réaménagement de l’ensemble de la ville, en particulier des boulevards, qui n’ont plus que deux voies de circulation et sont désormais dotés d’une ceinture verte. (...)
En France, en 2012, 23 réseaux sur 290 appliquent la gratuité intégrale, essentiellement des petites villes. En Belgique, outre Hasselt, seule la ville de Mons a adopté ce principe. La population moyenne des périmètres desservis est de 33 000 habitants. La gratuité intégrale, pourtant, semble rencontrer l’hostilité des acteurs hexagonaux du secteur : le Groupement des autorités responsables de transports (GART) l’estime pertinente pour de petits réseaux, mais « n’en recommande pas l’usage » (3) ; l’Union (patronale) des transports publics et ferroviaires (UTP) y est franchement hostile, évoquant une « fausse bonne idée ». Quant à la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut), elle a exactement le même avis, et s’en vante (4).
L’hostilité des patrons
Les arguments sont du reste assez constants, à la fois symbolique — la gratuité provoquerait la dévalorisation du service aux yeux des usagers —
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Selon ses détracteurs, la gratuité intégrale alimenterait les manifestations d’incivilité et dégraderait le service. Le vandalisme a, en effet, augmenté à Châteauroux. De 2001 à 2002, le nombre de sièges endommagés est passé d’une dizaine à 118, soit une augmentation trop soudaine pour s’expliquer par la détérioration générale de la vie sociale. Le coût de ces dégradations pour l’exploitant est passé en quatre ans de 1 021 à 5 579 euros annuels, une hausse forte, mais qui porte sur un montant assez faible dans l’absolu (5). « Nous avons remplacé les sièges en mousse par des sièges en plastique, moins vulnérables aux dommages, explique M. Pluviaud. Nous avons envisagé, après une visite à Blois avec le chef de la police municipale, la mise en place d’une vidéosurveillance, mais le coût n’en valait pas la chandelle, car le vandalisme reste limité, les agressions physiques rarissimes. » M. Gérard Bourgeois, délégué du personnel de la Confédération générale du travail (CGT) chez l’opéra- teur Keolis Châteauroux, admet « avoir eu peur que ce soit le bazar. En fait, cela ne s’est pas produit. Il y a souvent afflux de personnes et de poussettes, mais cela reste gérable ». (...)
Lorsque la gratuité repose sur des critères sociaux, les ayants droit doivent effectuer des démarches répétitives pour en bénéficier — des complications défavorables à l’usage des transports publics. De plus, selon M. De Schepper, « en supprimant les achats de tickets à bord du bus et le contrôle par le chauffeur, la gratuité rend le service plus fluide », chose qui profite aussi au personnel. M. Bourgeois souligne quant à lui que « les chauffeurs n’ont plus la tâche de receveur ni de contrôleur à effectuer… autant de stress en moins. Toutefois, on va parfois davantage appuyer sur l’accélérateur, à cause du plus grand nombre de voyageurs ». (...)
Enfin, la gratuité n’empêche pas les transports publics de se développer. Dans le Limbourg, province dont Hasselt est le chef-lieu, le projet Spartacus prévoit même d’ériger des lignes de tram-train reliant Hasselt à la ville voisine de Genk, et aux villes néerlandaises de Maastricht et Eindhoven. Il reste que, dans une période marquée par les plans d’austérité, la question du financement et de l’organisation des transports urbains constitue un défi de taille. En France, la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982 confère aux communes et à leurs groupements le rôle d’autorité organisatrice de transport urbain (AOTU), à charge pour elles de définir la consistance des services et les tarifs applicables, ainsi que de déterminer le mode d’exploitation. L’AOTU castelroussine exploite son réseau en marché public avec l’opérateur Keolis, filiale de la SNCF. (...)
De plus, la mise en place de la gratuité supprime certains coûts, tels que la fabrication des billets et des composteurs, les contrôles, etc. Ainsi, à Châteauroux, lors de la dernière année sans gratuité, les recettes commerciales s’étaient élevées à 428 000 euros, dont la CAC ne bénéficie plus dorénavant. Toutefois, la collectivité a économisé 126 000 euros en frais liés au caractère payant du transport. (...)
le succès ou l’échec d’une politique de gratuité dépend probablement d’une vision d’ensemble. Ainsi, les pouvoirs publics n’obtiendront de baisse de la part de l’automobile dans les déplacements que par un ensemble coordonné de mesures qui, prises isolément, n’ont que des effets limités. La gratuité des transports publics prend place dans ce cadre.