
Lundi 29 décembre, la coalition au pouvoir en Grèce (le parti conservateur Nouvelle Démocratie et les sociaux-démocrates du PASOK) n’a pas obtenu la majorité pour faire élire son candidat à la présidence de la République. Cet échec ouvre la voie à des élections législatives anticipées fin janvier qui pourraient voir la victoire de Syriza, parti de gauche opposé aux politiques d’austérité, actuellement en tête des sondages. L’occasion, pour une partie de la presse, de rejouer la petite mélodie de l’irresponsable « chantage grec », sur fond de promesses d’apocalypse européenne en cas de victoire de la gauche aux élections.
De longue date, la Grèce est un sujet d’inquiétude pour les éditocrates. À l’approche de chaque échéance démocratique, commentateurs et experts autoproclamés se posent la même question lancinante : les Grecs seront-ils assez responsables pour accepter qu’ils n’aient pas le choix ? Comprendront-ils qu’il n’y a pas d’alternative aux politiques menées par les gouvernements successifs, conservateurs et sociaux-démocrates, sous la houlette de l’Union européenne ? Que l’effondrement de l’économie, l’explosion du chômage et de la pauvreté [1] sont des sacrifices nécessaires pour payer la dette grecque à l’égard des pays du nord et pour sauver l’euro ? [2]
Les inquiétudes du Monde...
Fin 2011, l’annonce d’un référendum sur l’adoption du plan de rigueur avait déjà semé la panique chez les éditocrates qui s’étaient empressés de décrier l’irresponsabilité d’une telle initiative. Quelques mois plus tard, la victoire du conservateur Samaras face à Syriza avait provoqué un soulagement général dans les chefferies éditoriales, qui s’étaient inquiétées d’une possible victoire de la gauche anti-austérité. Au point de menacer les Grecs : « Il n’est pas admissible qu’un petit pays, par son refus des règles du jeu, puisse continuer à mettre en danger l’ensemble du continent » rageait Erik Israelewicz, dans l’éditorial du Monde daté du 12 mai 2012. « Aux Grecs de choisir. En espérant qu’ils feront le bon choix. Sinon, l’Europe devra en tirer les conséquences. Sans état d’âme. » Le « chantage grec » faisait aussi l’objet d’une émission à charge au café du commerce d’Yves Calvi.
C’est donc sans surprise que l’annonce de la tenue d’élections anticipées en janvier 2015, et la possible victoire de Syriza, ont suscité des réactions vives au sein de l’establishment médiatique. À commencer par Le Monde (...)
Dans son édition du 30 décembre, Libération consacre une double page et deux articles aux élections anticipées en Grèce. Le premier, signé Maria Malagardis, est une synthèse informative et sans parti pris apparent, qui revient sur l’échec des élections présidentielles. Elle a notamment le mérite de rappeler, information qui n’apparait dans aucun des autres articles cités ici, la main tendue par Samaras aux députés d’extrême droite d’Aube dorée, dans la perspective de l’élection présidentielle.
« Une capacité de perturbation voire de nuisance »
Dans le second article de ce dossier, Jean Quatremer développe une des thèses du dossier du Monde sur les « extrêmes » en Europe : Syriza serait un tigre de papier, une « gauche radicale en voie de modération » pour reprendre le titre de son article. La formation politique serait devenue « plus raisonnable », anticipant les réactions des marchés et des institutions européennes.
Pour le correspondant de Libération à Bruxelles, « Syriza n’est plus le parti radical qui, en 2010, voulait sortir de l’euro ». Sauf que Syriza n’a jamais porté dans son programme la sortie de l’euro. (...)
On serait tentés, à ce stade, de consulter l’avis éclairé des tauliers de L’Express et du Point. Pour rappel, le premier, Christophe Barbier, envisageait en 2012 la « mise sous tutelle » de la Grèce par l’Union européenne ; tandis que Franz-Olivier Giesbert considérait, facétieux, de « rendre la Grèce à la Turquie » pour en finir avec les solutions « débiles et ridicules » de Syriza [8]. Las – vacances obligent ? – il faudra se contenter de publications ponctuelles sur les sites des deux hebdomadaires. À noter, par exemple, ce sondage en ligne évocateur sur le site du Point : « Avez-vous peur que la crise en Grèce gagne le reste de l’UE ? » Ou encore cette publication au titre mystérieux sur le site de L’Express : « Syriza : Jean-Luc Mélenchon applaudit la Grèce, Marine Le Pen aussi ».