
Bien embrouillée cette question syrienne, mais il paraît qu’au Proche-Orient, c’est une spécialité du cru, tout se mélange, s’associe ou se fait la guerre en se dissociant parfois. Depuis mars 2011, le résultat est désastreux. Plus de 100 000 morts et des réfugiés dépassant le million. Au rythme où ça va, Damas, Homs et Alep finiront par ressembler au Dresde de 1945. Un jour il faudra bien démêler la vérité et juger les responsabilités, ne serait-ce que pour donner une vérité à cet épisode de l’Histoire dont on ne sait rien, excepté qu’un récit officiel est progressivement construit par les médias de masse et les autorités politiques, tout en étant partiellement déconstruit par d’autres sources. Si bien que la réalité des événements en Syrie depuis près de deux ans et demi se dessine avec des centaines de version bâties à partir des sources choisies et en plus des tas de contradictions et d’événements qui ne collent pas ensemble.
Cette situation est due à la nature de tout conflit à l’ère technumérique. L’information est un élément clé qui permet d’agit sur les intervenants extérieurs grâce à l’opinion publique. Les parties envoient souvent des leurres, voire des hoax. Le conflit en Syrie est parti de la ville de Deraa. Une contestation populaire relayée par des réseaux sociaux et déjà, une centaine de morts. La brutalité des forces officielles du régime donne une explication mais nul ne peut être certain que des infiltrés n’aient pas attisé la violence pour amorcer un conflit de plus grande ampleur. Les habitants de Deraa ont parlé de snippers et d’exactions non imputables à l’armée syrienne, sauf hypothèse d’agents cachés. On ne sait pas trop ce qui s’est passé. Un détail qui n’est pas sans importance. Deraa est à quelques dizaines de kilomètres d’Israël et du Liban et même pas 5 kilomètres de la frontière jordanienne.
La suite du conflit est à peu près connue, ce qui signifie qu’on se situe dans la confusion la plus totale. Avec des manœuvres politiques du régime, des tentatives de maîtriser la situation mais aussi la monté en puissance de forces rebelles prêtes à combattre durement et quelques désertions dans l’armée syrienne. Si vous interrogez les populations civiles opposées à Assad, elles vous diront que ce n’est pas du tout cette issue qu’elles souhaitaient, étant opposées à la guerre civile.
Autre épisode, cette fois politique, avec les Occidentaux donnant de la voix pour condamner Assad et même lui demandant de partir. Tout d’un coup, dans les chancelleries, il fut décrété que Assad n’avait plus la légitimité à diriger son pays. Dans la foulée, une opposition syrienne fut reconnue et chez nous, reçue avec les honneurs officiels par François Hollande, peu avare de menace contre Assad au cas où il utiliserait des armes chimiques, interdites par les conventions internationales. Ces armes jouant comme on l’aura compris un rôle symétrique aux AMD imputées à Saddam Hussein afin de justifier la guerre de 2003. La différence étant que la Syrie les as, ces armes, et donc, si une ligne rouge doit être franchie, c’est en les utilisant. On se demandera quelle est la légitimité de la reconnaissance de l’opposition syrienne alors qu’aucune donnée ne précise la représentativité de ces personnalités auprès des populations syriennes. Forçons la comparaison ! C’est comme si la France était à nouveau en 68 et que la situation devenant incontrôlable, la Chine et la Russie se mettaient à reconnaître une opposition officielle composée de le Pen, Besancenot, Dieudonné, Mélenchon, tout en demandant à Hollande de quitter le pouvoir.
La suite du conflit est assez connue en surface, avec 100 000 morts, des grandes villes partiellement détruites, des informations très lacunaires sur ce qui se passe et des données assez solides sur la livraison d’armes par les frontières turques et irakiennes, avec des provenances diverses, notamment l’ex-Yougoslavie et des financements plus ou moins officialisés de deux pays arabes très riches. L’Occident a joué son ballet diplomatique sur l’envoi ou non d’armes aux rebelles, avec des hésitations car parmi les combattants on trouve de tout, y compris des jihadistes les plus extrémistes. Un ballet bien inutile du reste puisque les armes n’ont pas besoin de l’aval des puissances occidentales pour circuler (...)
Un fait se produit ou ne se produit pas. On ne peut pas donner des informations sur un fait qualifié de probable ou alors livrer quelques notes incitant à la prudence. C’est comme les symptômes neurotoxiques révélés par MSF sans confirmation scientifique. Info que les médias ont copieusement relatée dans leurs unes. On ne sait pas s’il y a eu mort chimique mais on est sûr du nombre exact de cas suspects, 355.
La presse française semble avoir joué un rôle partisan dans cette affaire, se proposant même d’être un facilitateur d’opinion au service d’une propagande interventionniste alors que du côté américain on s’avère plus prudent. Plutôt inquiétant ce zèle de la presse de masse qui étend son champ de manœuvre au-delà même de ce que pourraient « recommander » les autorités officielles. Cela fait pas mal d’années que j’observe des dérives sur un journalisme de masse qui ne se contente pas de donner des faits et des analyses mais devient partisan en livrant de manière plus ou moins dissimulée des injonctions.
Le résultat c’est que qu’un Français sur deux est pour une intervention armée en Syrie. Les gens ne sont pas instruits des tenants et aboutissants. Intervenir sur ce conflit, c’est revenir un siècle en arrière et c’est aussi afficher des orientations militaristes dans un monde déjà pas évident à gérer. (...)
Dans cette affaire, ne suis sûr que d’une chose, celle de n’être certain de rien, n’ayant aucune, mais alors aucune confiance dans les médias de masse et les communiqués officiels. J’ai juste une petite idée sur quelques ressorts. Les Occidentaux et quelques pays arabes veulent la peau d’Assad et du régime, pour diverses raisons, chaque partie ayant intérêt à cogner sur le régime syrien, surtout pour emmerder l’Iran, ce qui me paraît être un ressort plausible. (...)
La France a bien changé, en 1914 le socialiste pacifiste Jaurès se faisait assassiner. Cent ans plus tard, les socialistes acclament Hollande pour qu’il bombarde Damas. Je ne n’y retrouve plus. Ou enfin si, le monde, France incluse, bascule lentement dans un régime autoritariste. Aux forces démocrates d’inverser la tendance mais je crains que ce ne soit hors de portée. Je précise enfin que je n’ai aucune sympathie pour le régime syrien. Je vois le carnage se poursuivre avec le malaise que peut procurer l’idée que par l’inconséquence de nos dirigeants politiques la France a une part de responsabilité dans ce massacre de Syriens pris en otage par des enjeux les dépassant. Et si ce n’est pas le cas, qu’on nous présente tous les arguments attestant du contraire.