
La guerre en Ukraine a mis à feu et à sang le grenier à céréales de la planète. Avec des conséquences en cascade partout dans le monde. En France, l’inflation sur les denrées alimentaires va encore déraper.
En cash et au cul du camion. Ou plutôt de l’entrepôt. "Depuis le début du conflit, nous ne pouvons plus assurer les livraisons de semences, engrais et pesticides : les routes sont devenues trop dangereuses, alors les 3000 agriculteurs ukrainiens avec qui l’on travaille viennent par leurs propres moyens dans nos entrepôts pour se servir", raconte Thierry Blandinières, le PDG d’InVivo, un des géants européens du secteur agricole.
Un système D mis sur pied dans l’urgence pour faire face à la période cruciale des semis de printemps (colza, maïs, et tournesol), qui doivent être plantés dans le tchernoziom ukrainien, un des sols les plus fertiles de la planète, d’ici la fin avril. En parallèle, le patron de la coopérative française s’arrache les cheveux pour essayer de sortir ses 90 000 tonnes de blé stockées dans le sud du pays, à Gorodok, Zhashkiv et Karolina. "Tous les ports sont fermés, on essaie donc d’en rapatrier une partie par train en passant par la Roumanie, mais il faut trouver un assureur, ce qui n’a rien de simple, et d’un pays à l’autre l’écartement des rails n’est pas le même : il faut décharger, recharger, ou trouver des camions... Un cauchemar logistique !".
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Alors que le monde a les yeux rivés sur le martyre de Marioupol et que l’Europe craint de grelotter l’hiver prochain, une autre calamité est en train de naître dans les vastes plaines céréalières ukrainiennes. Une crise alimentaire mondiale comme la planète n’en a jamais connue. A New York, devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, le secrétaire général de l’organisation, le portugais Antonio Guterres, a poussé récemment un gros "coup de gueule", prédisant "un ouragan de famines et un effondrement du système alimentaire mondial". Après les bombes et le choc énergétique, la faim. Notamment au Maghreb et dans une bonne partie de l’Afrique avec les effets en cascade de déstabilisations sociales et politiques de ces pays, déjà très fragilisés par deux ans de pandémie. (...)
"Face aux sanctions occidentales après l’annexion de la Crimée, en 2014, Poutine a décidé d’investir massivement pour tendre vers l’indépendance alimentaire, en particulier dans les cultures céréalières, raconte Sébastien Abis, chercheur à l’Iris et directeur du Club Demeter. Quant à l’Ukraine, le virage a été pris à la fin des années 90, avec des volumes d’exportations de produits agricoles qui ont été multipliés par six en vingt ans". Résultat, un tiers du blé tendre (servant notamment à la fabrication du pain) exporté sur la planète provient de ces deux pays, qui sont également incontournables sur les marchés du maïs, de l’orge, du tournesol ou encore du colza. Mais depuis l’entrée des premiers chars russes sur le sol ukrainien, le bruit des bottes a pris le pas sur celui des tracteurs. (...)
Le ministre de l’Agriculture ukrainien estime que la production agricole locale sera a minima divisée par deux cette année.
"Poutine pourrait décider de se servir de sa production agricole comme d’une arme géopolitique, en la distillant à ses seuls pays amis"