Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Guerre en Ukraine : des familles d’oligarques russes échappent aux sanctions en France
#guerreenukraine
Article mis en ligne le 26 juin 2023

Mediapart révèle que des membres de la famille proche de personnalités russes sous sanctions, dont le porte-parole de Vladimir Poutine Dmitri Peskov, continuent de profiter de leurs villas de luxe en France, qui n’ont pas été gelées par Bercy.

(...) À Saint-Jean-Cap-Ferrat, les oligarques russes ont toujours été discrets. Mais depuis les sanctions édictées en février 2022 à la suite de l’invasion de l’Ukraine, Andrey Zubitskiy a de bonnes raisons de se cacher. Les villas de plusieurs de ses illustres voisins (les oligarques Boris Rotenberg ou Musa Bazhaev) ont été gelées par Bercy. Et son propre frère, Evgeny Zubitskiy, PDG et actionnaire majoritaire de IHM, a été placé sous sanctions par l’Union européenne (UE) le 8 avril 2022, car l’entreprise constitue une « source de revenus » majeure pour le gouvernement russe.

Mais Andrey Zubitskiy peut continuer de jouir de la villa Della Robbia en toute légalité. Il n’a pas été placé sous sanctions, alors même qu’il est impliqué, aux côtés de son frère, dans la gestion de IHM. Il est le patron de la filiale SIJ en Slovénie, la plus grosse entreprise métallurgique du pays, qui emploie 4 000 personnes.

Bref, Andrey Zubitskiy semble avoir échappé à la vigilance de la « task force » créée par le ministère de l’économie pour traquer les avoirs des oligarques, qui rassemble des agents du fisc, des douanes, de la cellule de renseignement financier Tracfin et de la direction générale du Trésor.

La France aurait pu demander que l’oligarque soit placé sous sanctions par Bruxelles, et même décréter des sanctions nationales contre lui. Bercy aurait également pu étendre à Andrey Zubitskiy les sanctions qui frappent son frère Evgeny : les proches d’individus sanctionnés peuvent voir leur propres bien gelés en cas de liens « familiaux » mais aussi « commerciaux », comme le rappelle une note du Conseil européen. (...)

Andrey Zubitskiy n’est pas un cas isolé. C’est ce que révèle l’enquête internationale RussianEscape, menée par Mediapart en partenariat avec l’ONG allemande Civil Forum for Asset Recovery (CIFAR) et le réseau de médias European Investigative Collaborations (EIC). Nous avons identifié en France plusieurs biens immobiliers de luxe qui n’ont pas été gelés par Bercy, alors qu’ils appartiennent à des membres de la famille proche d’éminentes personnalités sanctionnées, comme Dmitri Peskov, porte-parole de Vladimir Poutine.

« Aujourd’hui, en Europe, les proches des individus sanctionnés peuvent encore servir de véhicules d’évasion aux gels d’avoirs. L’Europe n’a pas encore réglé ce problème », affirme Clara Portela, professeure en sciences politiques à l’université de Valence.
La famille : un bon moyen de contourner les sanctions

Ce constat est partagé par la REPO Task Force, la force d’action internationale dont la France est membre, chargée de traquer les avoirs russes dans les pays du G7 et de l’UE, et qui est à l’origine du gel de près de 53 milliards d’euros d’actifs. Le recours « aux membres de la famille et aux associés proches » est l’un principaux moyens d’échapper aux sanctions, écrivait la REPO en mars. (...)

Le rôle des banques en question (...)

l’oligarque avait obtenu le renouvellement, auprès de la filiale monégasque de la Société générale, d’une hypothèque de 24,8 millions d’euros. Cet acte, qui permet d’obtenir ou de prolonger un prêt en mettant la villa en gage, est interdit lorsque les biens sont gelés, car c’est un moyen d’en récupérer la valeur en cash (la maison appartient en partie à la banque tant que le prêt n’est pas remboursé).

La Société générale a-t-elle signalé cette opération à Bercy ? La banque a refusé de répondre, en raison du « secret professionnel », tout en précisant respecter « de façon rigoureuse les législations et réglementations en vigueur et [mettre] en œuvre avec diligence les mesures nécessaires, en coordination avec les autorités compétentes ». (...)

La France active l’arme judiciaire

En plus des sanctions, Bercy et le gouvernement ont aussi activé l’arme judiciaires. Selon Le Monde, la justice a ouvert 19 procédures judiciaires visant le patrimoine français d’oligarques russes depuis le début de la guerre en Ukraine, dont deux concernant des yachts pour contournement des sanctions, et dix-sept autres pour « blanchiment » : deux d’entre elles sont menées par le Parquet national financier (dont l’une porte aussi sur le contournement des sanctions), et les autres par la Junalco, la section du parquet de Paris chargée de lutter contre le crime organisé.

Ces procédures, pour la plupart déclenchées par des signalements de Tracfin, permettent de contourner les difficultés juridiques auxquelles Bercy est confronté pour geler les avoirs. La justice dispose en effet de moyens d’enquête plus efficaces pour tenter de démêler les montages complexes à base de prête-noms et de sociétés-écrans. Elle peut aussi procéder à des saisies pénales, qui aboutissent à la confiscation des biens par l’État en cas de condamnation ; tandis que le gel est une mesure administrative et normalement temporaire. Une première saisie pénale a été obtenue contre le magnat de l’acier Viktor Rachnikov, au sujet d’une villa à Saint-Jean-Cap-Ferrat. (...)

La voie judiciaire ne règle en tout cas pas toujours les problèmes (...)

Le Conseil européen, qui rassemble les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, tente en tout cas de s’attaquer au problème. Le 6 juin, le Conseil a adopté un règlement, immédiatement applicable, manifestement destiné à contrer l’arrêt de la Cour de justice de l’UE qui avait annulé les sanctions visant la mère du patron de Wagner.

Ce règlement stipule que, désormais, tous les individus qui « tirent avantage » de la fortune d’une personne sanctionnée, dont « les membres de leur famille proche », pourront être automatiquement placés sous sanctions. (...)

Reste à savoir comment le Conseil européen, qui vote les listes de personnes sanctionnées, va appliquer ou non cette nouvelle arme de façon massive. Et si cet élargissement dans sanctions aux proches des oligarques sera validé par la Cour de justice de l’UE.