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France24
Guerre en Ukraine : l’Inde prise au piège de sa proximité avec la Russie
Article mis en ligne le 25 mars 2022

Préservant ses intérêts économiques, l’Inde, alliée historique de la Russie, refuse toujours de condamner l’invasion de l’Ukraine. Un mois après le début de la guerre, le pays se trouve pris en porte-à-faux, écartelé entre une pression occidentale grandissante, notamment des États-Unis, un partenaire stratégique dans le Pacifique, et la peur de voir Moscou se rapprocher de ses ennemis, la Chine et le Pakistan.

Depuis un mois, la guerre en Ukraine domine les agendas diplomatiques. États-Unis, Union européenne, Japon… Chaque jour apporte son lot de sanctions et de nouvelles condamnations contre la Russie. Dans ce ballet diplomatique, l’Inde semble cependant décidée à rester en retrait et à éviter le sujet à tout prix.

Dernier exemple en date : lors d’un sommet bilatéral organisé entre l’Inde et l’Australie lundi 21 mars, le Premier ministre australien Scott Morrison a ouvert la réunion en évoquant "la très inquiétante toile de fond de la guerre en Europe" et a dénoncé "l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie". Narendra Modi, lui, s’en est tenu à des considérations touchant au commerce, aux technologies ou encore au cricket, sans jamais évoquer le dossier ukrainien.

L’Inde s’est aussi abstenue lors des cinq votes organisés à l’ONU visant à condamner l’attitude de Moscou, notamment dans le cadre d’une résolution du Conseil des droits de l’Homme exigeant une enquête indépendante sur les violations commises par la Russie en Ukraine.

Ainsi, si la guerre en Ukraine a amené certains pays comme l’Allemagne à bouleverser leurs politiques diplomatique et de défense, l’Inde, elle, semble vouloir à tout prix maintenir son cap en ménageant ses partenaires occidentaux tout comme son allié russe. Le conflit s’enlisant, sa position pourrait cependant vite devenir intenable. (...)

Depuis la fin de la Guerre froide, New Delhi entretient donc des relations commerciales étroites avec la Russie. Mais cela ne l’a pas empêché de se rapprocher aussi des États-Unis ces dernières années. (...)

"Nous sommes face à l’un des cas les plus graves d’agression par un pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale", dénonce auprès de France 24 Michael Kugelman, expert de l’Asie du Sud au Wilson Center, aux États-Unis. "Pourquoi une trentaine de pays ont-ils refusé de condamner l’invasion russe ? La réponse est simple : parce qu’il n’était pas dans leur intérêt de voter en faveur de cette résolution. Au final, ce sont les intérêts, et pas la morale, qui guident les décisions de politique étrangère."

Du pétrole et des armes (...)

c’est surtout dans le domaine de la défense que l’Inde est dépendante de la Russie. "Moscou est historiquement le premier fournisseur d’armes de New Delhi, avec qui il procède aussi à de nombreux échanges de technologies", explique auprès de France 24 Avinash Paliwal, professeur de relations internationales à la School of Oriental and African Studies (Soas) de l’Université de Londres. Et d’insister : "Les forces armées indiennes sont majoritairement équipées d’armements russes."

La Russie est le premier exportateur d’armes au monde après les États-Unis (...)

Et si, depuis quelques années, l’Inde tente de diversifier son approvisionnement, se tournant notamment vers la France, Israël et les États-Unis, elle reste fortement dépendante de Moscou. (...)

La peur face aux ennemis pakistanais et chinois

"L’Inde est actuellement confrontée à une double menace, celle de la Chine et celle du Pakistan", poursuit le spécialiste. "Elle a donc une forte demande en équipements militaires pour dissuader Pékin et ne peut pas se permettre de refuser les importations russes."

D’autant plus que la guerre en Ukraine fait naître une nouvelle inquiétude, celle de voir Moscou, conforté en Afghanistan depuis la prise de pouvoir par les Taliban en août 2021, renforcer ses liens avec le Pakistan. (...)

L’Inde craint aussi que la Russie, isolée en raison des sanctions économiques, ne se rapproche de son ennemi chinois. "Voir un allié important, la Russie, devenir dépendant économiquement et diplomatiquement d’un adversaire – la Chine – n’est pas à l’avantage de New Delhi", analyse Avinash Paliwal. "Avec la guerre en Ukraine, les liens sino-russes ont pris une nouvelle tournure, et cela se fait au bénéfice de la Chine."
Perdre un allié dans l’Indopacifique

Si l’Inde dépend militairement de la Russie dans sa lutte contre la menace chinoise, c’est aussi cela qui l’avait poussée à se rapprocher des États-Unis et devenir un membre de l’alliance informelle du Quad. Ce groupe, qui comprend également l’Australie, le Japon et les États-Unis, se concentre sur la région Indopacifique et a l’ambition d’être un contrepoids à Pékin.

Et si la guerre en Ukraine risque de jeter Moscou dans les bras de Pékin, elle risque également de détourner les États-Unis du théâtre indopacifique, selon Michael Kugelman. "Elle pourrait inciter Washington à dévaloriser la menace chinoise et à se concentrer sur l’Europe. L’Inde ne veut pas de cela", explique-t-il. (...)

En maintenant ses relations avec la Russie, New Delhi risque ainsi de froisser son allié américain. (...)

Un rôle de médiateur ?

Pour Michael Kugelman, l’Inde pourrait se sortir de ce piège diplomatique en adoptant la voie de la médiation. "Je pense que l’Inde est bien placée pour jouer le rôle de négociateur. Aucun des autres pays qui ont proposé leur médiation – Israël, la France ou la Turquie – n’a le genre de relations profondes que New Delhi entretient avec Moscou", estime-t-il.

"L’Inde est sensible aux critiques selon lesquelles elle ne pèse pas assez lourd sur la scène internationale. Si elle accepte de jouer le rôle de médiateur, et peut aider à mettre fin à la guerre, elle montrerait sa capacité à faire des choses importantes et significatives dans le monde." Mais là encore, prendre ce rôle de médiateur signifierait s’écarter de sa politique de non-interférence dans les conflits étrangers.