
Les affrontements pour la prise de Kyiv, au début de la guerre, ont touché la réserve naturelle de Drevlianskyi, créée sur des terres contaminées par l’explosion de la centrale nucléaire. Plus de 20 % du parc serait miné, tandis que plusieurs milliers d’hectares de forêts contaminées par Tchernobyl sont partis en fumée dans tout le pays.
(...) Des panneaux sur le bas-coté présentent la faune et la flore de la réserve naturelle de Drevlianskyi, et mettent en garde les visiteurs contre les risques d’incendie. D’autres expliquent qu’il est interdit de cueillir des baies ou des herbes médicinales, en raison de la radioactivité des sols.
Selon une étude réalisée il y a une dizaine d’années par Greenpeace, une concentration en césium 137 de 288 000 becquerels par kilogramme (Bq/kg) avait été détectée dans des champignons de la région, soit 115 fois la limite autorisée par le ministère de la santé ukrainien. (...)
Seules les voitures des gardes forestiers brisent encore le silence de l’hiver, du moins quand ils ont assez d’argent pour acheter de l’essence, eux qui connaissent les chemins qui serpentent entre les hameaux irradiés, ainsi que les prénoms des derniers vieillards accrochés à ces terres contaminées, auxquels il faut de temps en temps apporter un peu de nourriture.
Caché derrière une épaisse pile de dossiers, Mykola Cheliouk, le directeur de la réserve, lève parfois les yeux au ciel, comme s’il pouvait voir les missiles venus du Bélarus qui passent au-dessus de son bureau, pour frapper les infrastructures ukrainiennes. (...)
La réserve naturelle de Drevlianskyi a été établie en 2009, sur des terres contaminées et donc impropres aux activités humaines. On y trouve des centaines d’animaux, des grands mammifères comme des élans, des loups et des lynx, et plus de 900 espèces de plantes, dont certaines mousses spécifiques aux immenses massifs forestiers humides qui s’étendaient sur les territoires faisant aujourd’hui frontière entre le Bélarus et l’Ukraine. (...)
« Nos soldats étaient peu nombreux et ils n’avaient pas de matériel, raconte le garde forestier Ivan Moïsenko. Les employés de la réserve ont donc aidé l’armée ukrainienne, sans pour autant participer aux combats. Nous avons mené des actions de reconnaissance et tenu des barrages. Nous avons aussi utilisé nos jumelles thermiques pour suivre les mouvements des ennemis, et nos drones pour débusquer leurs positions. Pour se protéger, les Russes ont creusé des tranchées dans la terre contaminée. Mais il est aujourd’hui impossible d’avoir accès à ces zones, tout le périmètre a été bouclé. »
26 000 hectares de forêts contaminées partis en fumée
Difficile donc de connaître les conséquences écologiques et sanitaires de ces travaux de terrassement, comme il est trop tôt pour évaluer l’impact des feux qui ont ravagé les forêts de la réserve. « Les Russes ont brulé une partie des 100 000 arbres plantés l’année dernière par l’entreprise Yves Rocher sur des terres agricoles contaminées, même si je n’en vois pas bien l’intérêt », poursuit Mykola Cheliouk, qui estime de façon encore incomplète les dégâts financiers occasionnés par les combats à 1,5 milliard de hryvnia, soit 38 millions d’euros.
« J’ai envoyé une demande à Kyiv pour déminer les forêts, mais on m’a répondu que nous n’étions pas prioritaires. Si de nouveaux incendies se déclarent l’été prochain et que nous ne pouvons pas intervenir, la situation pourrait pourtant devenir très compliquée. »
Selon les données des Nations unies, 26 000 hectares de forêts contaminées par les retombées radioactives de Tchernobyl sont partis en fumée sur l’ensemble du territoire ukrainien depuis le début de l’invasion russe. (...)
Pour l’heure, et en attendant des études plus précises, la centaine de salariés de la réserve, qui constitue l’un des plus gros employeurs de la commune de Narodytchi, tentent de venir en aide aux populations les plus fragiles. (...)
Depuis un an et demi, dans les zones contaminées par Tchernobyl, les retraité·es qui en ont fait la demande reçoivent une pension équivalente à trois fois le montant de la retraite minimum, soit près de 460 euros par mois, une petite fortune pour l’Ukraine. (...)
Depuis le début de l’invasion russe, environ 20 % des zones naturelles protégées d’Ukraine et « 700 000 hectares de forêts ont été endommagés ou minés », explique Natalia Gozak, directrice de l’ONG environnementale ukrainienne Ecoaction. Huit réserves naturelles et dix parcs nationaux sont toujours sous le contrôle des troupes de Vladimir Poutine, sur la quarantaine que compte le pays.
À Narodytchi, l’hypothèse d’une nouvelle offensive, régulièrement évoquée par les autorités ukrainiennes, ne semble pourtant plus effrayer la population.
Les habitant·es de la petite ville racontent au contraire que des combats se dérouleraient discrètement dans les forêts limitrophes de la frontière, entre les soldats ukrainiens et des saboteurs venus du Bélarus. Et tout le monde veut le croire, les habitant·es de la Polésie ukrainienne ne se laisseront pas surprendre une seconde fois. « Les armes sont déjà prêtes », assurent-ils.