
Le Média : Une étude sortie en début de semaine expliquait qu’un Français sur cinq ne parvenait plus à se nourrir correctement. Le Plan pauvreté d’Emmanuel Macron se dit ambitieux. Les 8 milliards d’euros annoncés pour le financer vont-ils suffire pour endiguer un tel problème ?
Henri Sterdyniak : Vous plaisantez ? Les 8 milliards, c’est bidon. On ne sait pas comment ça sera réparti, ni ce que ça représente exactement par an. Le grand problème est que le RSA est très faible et que beaucoup de gens sont en situation précaire parmi les familles monoparentales et les familles nombreuses. Il n’y a pas grand-chose pour eux dans ce plan. Ce n’est pas ça qui va réduire massivement la pauvreté. Il aurait fallu augmenter le RSA. Il y a des choses sympathiques, comme donner des petits-déjeuners aux enfants, les places en crèche ou encore les tarifications des cantines mais je crois que c’est tout. Encore que, ce que Macron ne dit pas, ces choses-là seront à la charge des collectivités. Or, on sait pertinemment que l’Etat ne leur donne pas les moyens suffisants pour répondre aux ambitions du gouvernement.
8 milliards sur 4 ans, ça fait à peine 2 milliards par an. Dans le même temps, il faut savoir qu’on va supprimer les emplois aidés et on va aussi désindexer les prestations familiales. A côté de cela, il n’y a pas de mesure pour le RSA, qui est pourtant une arme utile contre la pauvreté. Alors il est certes question d’augmenter la prime d’activité, mais ça ne touche que les gens ayant déjà un emploi. Donc ce n’est pas suffisant pour aider les plus pauvres.
Il y a aussi le discours stupide sur l’égalité des chances. Ce qu’il faut c’est un système équitable avec le moins d’inégalité de revenu possible où tout le monde peut avoir un emploi. L’égalité des chances est un mythe. Elle est inhérente au système. Ce n’est pas une question de chance ni de mérite. Cette histoire masque le fait qu’on ne veut pas vraiment lutter contre la précarité.
Le gouvernement aimerait fusionner RSA, APL et prime d’activité, dans un « revenu universel d’activité ». Que se cache-t-il derrière ce terme ?
Appeler ça le « revenu universel d’activité » est un scandale. C’est du détournement de concept. L’idée de revenu universel est incompatible avec le fait de contrôler la recherche d’activité(...)
Il faut se rappeler que le RSA bénéficie à des gens qui concourent à un emploi. Or, une partie des minimas sociaux ne peuvent pas inciter à la reprise d’activité, c’est le minimum vieillesse et l’allocation d’adulte handicapé, qui n’ont rien à voir avec l’activité. Rien n’est proposé pour améliorer les revenus des personnes handicapées et des personnes âgées. Un autre point qui est amusant, c’est que pour l’allocation logement et les minima sociaux, ce n’est pas le même public qui est ciblé. Vous pouvez avoir droit à l’allocation logement parce que vous avez un salaire faible, mais ce n’est pas pour autant que vous touchez le RSA. Il s’agit de deux choses totalement différentes.(...)
Prenez l’exemple de la Grande-Bretagne qui avait tenté, elle aussi, de fusionner l’ensemble des prestations sociales, et cela avait été une catastrophe. On n’avait même pas réussi à fusionner les fichiers de l’ensemble des personnes ciblées. De plus, il y avait des dispositifs très contraignants pour forcer les gens à retrouver un emploi. (...)
Ce qui peut être intéressant, à la rigueur, c’est l’idée des territoires « zéro chômeur » pour les chômeurs de longue durée. Elle permet à une personne sans emploi depuis plus de deux ans d’obtenir un emploi auprès de la collectivité. Mais avec 70 millions d’euros prévus pour la mettre en œuvre, c’est trop faible.(...)
Au lieu d’augmenter les allocations des ménages précaires, on prétend donner du « capital humain » aux enfants. C’est évidemment utopique. Quand les parents vivent dans la pauvreté, sont employés précairement à temps partiel avec des horaires variables, le capital humain de ces mêmes enfants est difficile à développer.(...)
Tout ce qui est fait actuellement n’est destiné qu’à inciter les gens à travailler, rien de plus. Avec les exonérations de cotisation sociale, l’objectif est de développer des emplois précaires(...)
Les inégalités de destin sont évidemment un mythe. Le mot « destin » renverrait presque à un malheureux héros romantique. La vérité c’est qu’on a besoin de 50% de gens dans les classes populaires et naturellement il y a 90% des enfants des classes populaires qui vont se retrouver dans ces mêmes classes populaires quoi qu’on fasse. C’est la logique même de la société libérale. Le rôle des hommes politiques c’est que les inégalités reculent massivement. Cela demande de s’attaquer aux inégalités de revenu en général et aux inégalités de statut en donnant des droits aux salariés. Le plan Macron tend au contraire à justifier les inégalités. (...)
Le scandale dans tout cela c’est que certains gagnent des millions en montant des opérations financières alors que pendant ce temps, beaucoup végètent avec 800€ par mois.