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Hannah Nelson, journaliste : « Rester sur le terrain, partout où les gens se battent pour une vie meilleure »
Article mis en ligne le 22 novembre 2020

Alors qu’elle couvrait la manifestation pour la liberté de la presse, le 17 novembre, la photojournaliste Hannah Nelson, 18 ans, a été placée en garde à vue. Une arrestation arbitraire mollement dénoncée par la profession, dont certains regardent de haut celles et ceux qui s’engagent sur le terrain des mouvements sociaux et qui seront les premiers concernés par l’interdiction de diffuser les visages des policiers.

Elle ne s’attendait pas à une telle vague médiatique, à autant de soutiens, ni à autant de haine. Hannah Nelson, jeune photographe indépendante de 18 ans, a été interpellée mardi 17 novembre vers 21 heures alors qu’elle couvrait la manifestation contre la loi de sécurité globale, organisée près de l’Assemblée nationale.

Nassée à l’entrée du métro Solférino avec une centaine de personnes, elle a été violemment attrapée par un CRS lors d’une charge, puis trainée au sol avant d’être menottée et maintenue face contre terre, un genou contre le bas de son dos. « Quelques secondes avant la charge, j’ai eu un échange de regard avec le policier dans le blanc des yeux. C’était comme s’il se disait qu’il allait m’attraper », dit-elle à Reporterre. Hannah Nelson s’est enquise alors du motif de son interpellation. On lui a rétorqué un lapidaire : « Tu sais. » Elle a dû attendre d’être au commissariat avant d’en connaître la raison : « Continuer volontairement à participer à un attroupement après les sommations de dispersion » et « dissimulation du visage », car elle portait un masque à gaz. Ce second chef d’accusation n’a pas été retenu, mais son masque à gaz ne lui a pas été rendu. Elle est sortie de garde à vue le lendemain, mercredi 18 novembre, à 14 h 10 avec un simple rappel à la loi et plusieurs contusions.

Déferlement de haine sur les réseaux sociaux

Entre temps, la machine médiatique s’est emballée. Ses nom et prénom se sont hissés dans les mots-clés tendance de Twitter. « Je pensais que les gens allaient en parler un peu, car lorsque j’ai été embarquée, j’étais face à un mur de photographes. Mais je n’aurais jamais cru que ça irait aussi loin. » (...)

Hannah Nelson est bien consciente de s’engager dans une voie difficile semée d’embûches mais garde la passion chevillée au corps. « Est-ce qu’il y a un chemin imposé pour devenir journaliste ? Regardez Taha, il n’a pas fait dix ans d’études pour faire ce métier. » La comparaison avec le journaliste Taha Bouhafs, qui travaille pour le site Là-bas si j’y suis, a été faite par beaucoup d’internautes, ressassant le débat autour de son statut de journaliste. Cette question déchire le monde des médias depuis plusieurs mois, comme si chacun devait choisir son camp. Pourtant, beaucoup revendiquent aujourd’hui leur subjectivité comme une nouvelle forme de pratiquer ce métier. (...)

« Quand on dit qu’un journaliste est militant, c’est que son propos dérange, qu’il est trop contestataire par rapport à l’ordre établi tel qu’il est défendu par les médias », a dit Sihame Assbague. « Moi, je traite la question des violences policières et je suis militante quand, dans une affaire de violences policières, je donne la parole aux victimes. Comment est-ce qu’on peut appeler les journalistes qui se contentent de la version préfectorale et policière ? C’est du militantisme. Il n’y a aucun journaliste qui ne parle pas d’une subjectivité. »

Un fossé grandissant au sein de la profession

Ces attaques à l’encontre d’Hannah Nelson sont symptomatiques d’un fossé grandissant entre les journalistes de terrain, souvent jeunes, rarement sortis des écoles reconnues par la profession, et ceux qui restent au chaud derrière leur ordinateur, souvent à des postes à responsabilité. Le message posté par le journaliste Claude Weill, régulièrement invité sur les chaînes télévisées d’information en continu, l’illustre à merveille. (...)

L’absence de soutien des médias de masse à l’encontre d’Hannah est d’autant plus inquiétant que le même jour, un journaliste de France 3 Île-de-France a également été placé en garde à vue entraînant un déluge de soutiens, notamment, celui de Christophe Deloire. Dans un message posté sur Twitter, le secrétaire général de Reporters sans frontières parle de « gardes à vue de journalistes comme celle du rédacteur de France 3 qui a passé 12 heures au commissariat ». Sans un mot pour Hannah Nelson. (...)

Lors du rassemblement du 17 novembre, Dominique Pradalié, secrétaire nationale du Syndical national des journalistes (SNJ), a souligné l’absence de réaction de la part des journalistes des médias principaux face à la loi sécurité globale. « Les patrons de presse restent dans un silence total. Vont-ils diffuser les images de la police à la place de leurs reportages ? Ils devraient s’engager, mener des démarches auprès des ministres et des députés, mais ne font rien. » Car sans les journalistes de terrain, pas d’images de violences policières. (...)

Pourquoi la profession ne fait-elle pas bloc pour dénoncer l’arrestation d’une jeune photographe en pleine manifestation pour la défense de la presse ? De nombreux journalistes se sentent-ils dépassés par une nouvelle génération toujours sur le terrain et assumant bien volontiers sa subjectivité ? « Se faire insulter par des gens bien établis assis confortablement derrière un ordinateur en attendant que d’autres sur le terrain prennent les coups pour eux, c’est assez triste », constate Hannah. (...)

Cette arrestation illustre également l’impunité ressentie par les forces de l’ordre, qui appliquent avant même qu’elle ne soit promulguée, la loi sur la « sécurité globale ». « À la toute fin de la manif, j’ai suivi un débat. Un manifestant disait aux flics “On filmera toujours”. Il lui a rétorqué “Bientôt, cela n’arrivera plus” », se souvient Louis Witter.

Ces dernières semaines, les attaques envers la liberté de la presse se sont multipliées. (...)

Cette semaine, le ministre de la Justice, Éric Dupond Moretti, a carrément demandé une modification de loi sur la liberté de la presse qui date de 1881, sous prétexte qu’elle protègerait des poursuites judiciaires trop de personnes non journalistes coupables d’incitation à la haine.

Enfin, cette loi sur la « sécurité globale » a été présentée sur le plateau de Public Sénat par la députée La République en marche (LREM) du Var, Valérie Gomez-Bassac, comme une « protection » voire « un service » rendu aux journalistes. En tout cas, à ceux qui « donnent de la vraie information ».

« Ils veulent mettre en place un projet politique, une uniformisation qui est assez effrayante », explique Amanda Jacquel. (...)