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Hongrie : le régime tue la dernière radio libre
paolo-fusi
Article mis en ligne le 12 février 2021
dernière modification le 11 février 2021

Cela se produira dimanche prochain à minuit. Sur la fréquence 95,3 de la modulation de fréquence, après presque un quart de siècle de liberté à Budapest, il va soudainement se calmer

Le tribunal hongrois, qui a accepté la plainte du régulateur des médias, a ordonné la révocation de la licence de Klubrádió, anéantissant ainsi la dernière voix critique contre le régime de Viktor Mihály Orbán[1]. Je dis cela avec douleur car je fais moi-même de la radio en Allemagne depuis tant d’années et j’en suis très fier. Je subis l’assassinat du projet hongrois comme une défaite personnelle : trente ans après la chute du mur de Berlin, la froideur de l’Europe de l’Est est à nouveau insupportable. (...)

L’une des raisons de cette émotion explique l’un des fondateurs de Klubrádió, Oszkár Hegedűs : « Si vous vivez dans une société où vous devez toujours faire attention car vous ne savez pas qui écoute et vous pourriez être trahi par quelqu’un que vous considéré comme un ami, la radio est le symbole de la libération. Parce que c’est un dialogue qui protège aussi ceux qui parlent et disent ce qu’ils pensent vraiment. C’est quelque chose que vous faites par excellence par passion, pas comme métier et cela découle de la convergence de la passion de nombreuses personnes qui se retrouvent miraculeusement autour d’un micro et d’une antenne sans aucune planification, économique ou journalistique. La radio libre, si c’est le cas, n’a pas de ligne précise, mais c’est un oxymore continu, elle grandit et s’épanouit avec la dialectique et les contradictions »[2]. (...)

Les garçons de Radio FREI ont découvert un certain nombre de systèmes étonnants au cours des années héroïques de la réunification immédiate : ils ont reçu une licence pour restaurer un ancien moulin abandonné à bas prix et y ont travaillé comme agriculteurs[13]. De temps en temps, ils revenaient à Erfurt pour diffuser ou pour des initiatives pleines de folie heureuse. Un exemple : Erfurt est traversé par la Gera, qui est à moins d’un mètre de profondeur derrière la mairie. Les gars de Radio FREI réparent une chaise et l’utilisent pour transporter les touristes à travers le fleuve. En coopération avec le syndicat, ils proposent des formations complémentaires[14]. On ouvre un centre jeunesse pour la musique et la littérature[15]. Ils ont créez un groupe de musique qui a fait des tournées en Allemagne et en Suisse pendant des années et a joué les ballades politiques de la RDA[16].

András Arató et la naissance du groupe Obidos (...)

En Italie, nous avons eu des années glorieuses de développement de la radio gratuite, et nous en avons encore avec nous dont les souvenirs ont survécu à travers les années et les générations - Radio Radicale, Radio Popolare, Radio Onda Rossa, Radio Aut, Radio Alice, euh pour n’en citer qu’un quelques-uns des plus célèbres. Il nous est difficile d’imaginer ce que signifie se battre pour une radio pirate à la fin de l’hégémonie soviétique. La vie de tout le monde était en crise, tout était soudainement remis en question : sentiments de culpabilité, de désorientation, d’incertitude sur l’avenir, peur d’être rabaissé par un Occident sarcastique et paternaliste - ces sentiments régnaient partout.

Peu de temps après la réunification, un de mes chers amis a décidé de quitter Berlin, où il travaillait pour un quotidien avant et après la fin de la RDA pour rédiger un reportage sur Radio FREI. Pendant les années de la dictature, comme de nombreux journalistes, il s’était mis d’accord avec le régime et avait été espionné par des amis. Ce soir-là, lorsqu’il prit le train pour Erfurt, il eut une discussion informative à ce sujet avec sa femme. Ils se racontaient ce qu’ils n’avaient pas eu le courage de se dire depuis près de vingt ans et deux enfants. Quand il est rentré chez lui quatre jours plus tard avec un magnétophone rempli des voix des garçons de Radio FREI, il a trouvé la maison vide. La famille ne pouvait pas supporter la vérité, la femme était partie.

Dans les premières années de Klubrádió à Budapest, la situation était similaire : la vie du projet est pleine de controverses, de difficultés, d’espoirs et de souffrances d’une génération de Hongrois qui, plus de 30 ans après l’invasion des chars russes, se sont retrouvés. maîtres de leur propre destin sans savoir quoi en faire[17]. Marty Rubin écrit : « Tout ce que la bougie sait, elle l’a appris dans le noir »[18], et c’est ainsi que cela s’est passé pour Klubrádió. (...)

Et maintenant ? (...)

Puisque le pouvoir politique en Hongrie n’a pas l’intention d’aider la radio, Arató transforme Klubrádió en une radio commerciale qui diffuse à l’échelle nationale tout en garantissant l’indépendance et la liberté de ceux qui prennent le micro. Une chose qu’Orbán ne supporte pas et qui se bat mètre par mètre depuis des années : resserrer le traitement fiscal, révoquer la licence pour la radiodiffusion nationale et maintenant annuler complètement la licence pour la fréquence. Il n’y avait rien à faire : pas même le fait que 25% du capital du groupe Obidos aient été vendus à un groupe britannique, BritMedia[22], n’a rien fait pour contenir la colère d’Orbán. Arató a déjà annoncé que Klubrádió continuerait d’être sur Internet, sachant que l’audience sera extrêmement limitée.

Carsten Rose déclare : « Nous devons nous demander si la radio au sens classique du terme existe toujours. Je pense que la technologie a complètement changé et que la numérisation a rendu la radiodiffusion traditionnelle superflue. Tout est numérique maintenant. Mais le sens, la nature, l’âme de la radio sont préservés, et c’est ce dont vous avez besoin, peu importe comment et à combien elle est transmise : L’avenir de la radio est celui d’un média polymorphe et intégré qui ne consiste pas seulement en sons, mais se compose également de contenu visuel et de texte »[23].

De cette manière, Klubrádió existera tant qu’il y aura des gens en Hongrie qui en auront besoin. Tout comme moi, qui écrit ces notes et chante à haute voix les lignes d’Eugenio Finardi : « Si une radio est gratuite, mais vraiment gratuite, je l’aime encore plus car elle libère l’esprit »[24]. Je suis tellement désolé quand je raconte cette énième triste affaire comme si elle me concernait personnellement parce que je la vis comme une question existentielle - comme un fait émotionnel. (...)