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Hospitalisation et soins sous contrainte « On peut parler de barbarie hospitalière »
Article mis en ligne le 9 février 2020

En France, près de 20 % des hospitalisations en psychiatrie sont effectuées sous contrainte, à la demande d’un tiers ou d’une autorité publique. Parmi les patients concernés, certains contestent la décision, mais la plupart ne connaissent pas leurs droits ou sont mal accompagnés. Longtemps membre du Groupe information asiles (GIA), lui-même ex-interné, André Bitton est aujourd’hui président du Cercle de réflexion et de proposition d’action sur la psychiatrie (CRPA). Il y mène une lutte résolument antipsychiatrique, défendant une approche collective, centrée sur les droits des malades – hospitalisés sous contrainte ou non. Entretien.

Dans quel contexte avez-vous été amené à fonder le Cercle de réflexion et de proposition d’action sur la psychiatrie (CRPA) ?

« Dans les années 1980 et 90, j’ai moi-même connu l’internement sous contrainte. J’ai milité au sein du GIA, le Groupe information asiles [1], où je me suis formé sur le tas. Le CRPA est né en 2010 d’une scission avec le GIA. Nous avons d’ailleurs explosé à une période plutôt positive niveau résultats. Le Conseil constitutionnel venait de nous donner raison, suite à la QPC [Question prioritaire de constitutionnalité, un dispositif qui permet de vérifier auprès du Conseil constitutionnel la constitutionnalité d’une loi déjà promulguée – NDLR] à laquelle nous nous étions associés : le contrôle par un juge de l’hospitalisation sous contrainte devait bien être systématique.

En 2008, on était entrés dans une nouvelle ère en matière de psychiatrie : le discours ultra sécuritaire de Nicolas Sarkozy à Antony (Hauts-de-Seine) en décembre de cette année-là a entraîné une distribution de bracelets de contention aux établissements psychiatriques, l’installation de caméras de vidéosurveillance dans les chambres des personnes internées, la mise en chantier de nouvelles Unités pour malades difficiles... En opposition à cela, le Collectif des 39 s’est créé, essentiellement du côté des psychiatres [2]. Nous les avons ralliés en 2010, tout en les contestant sur certains points. (...)

« On reçoit des demandes désordonnées. En France, il n’y a pas de guichets d’accès aux droits dédiés sur le plan psychiatrique, les pouvoirs publics n’en veulent pas. Les gens sollicitent quiconque est visible sur l’Internet. J’encourage à faire cause commune, à ne pas être individualiste. Avec d’autres, on essaye de mettre en place une permanence “Infos droits psychiatrisés” une fois par mois à Paris. »

Chaque année, plus de 90 000 personnes sont hospitalisées sous contrainte. Il semble y avoir en France une vieille tradition de l’enfermement psychiatrique et du déni des droits des patients…

« Dès sa création dans les années 1960, l’Unafam [Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques], le lobby des familles, a demandé la légalisation de la contrainte aux soins psychiatriques et la possibilité de faire interner le parent malade le plus simplement possible, sans formalités, c’est-à-dire sans aucune garantie pour le patient. Il a fallu que Nicolas Sarkozy légalise les QPC et que le Conseil constitutionnel rende ses premières décisions pour qu’on obtienne un contrôle judiciaire systématique de l’internement psychiatrique. Il y a là une exception française puisque plusieurs pays frontaliers avaient introduit ce contrôle judiciaire depuis longtemps : l’Italie en 1978, le Royaume-Uni et l’Espagne en 1983, la Belgique en 1990.

Ici, ce n’est le cas que depuis la loi du 5 juillet 2011 – modifiée le 27 septembre 2013 [à la demande du Conseil constitutionnel]. Désormais, les patients internés sans consentement dans les hôpitaux psychiatriques doivent être présentés à un juge des libertés et de la détention avant la fin des douze premiers jours de leur internement, puis tous les six mois si l’hospitalisation sous contrainte à temps complet se prolonge. Mais même cette maigre garantie a été critiquée par une large partie des hospitaliers [4]. Jusqu’au bout, ces professionnels de la psychiatrie ne voulaient pas de droits effectifs et praticables pour les malades mentaux. Ils ont d’ailleurs mis en œuvre ce qu’il fallait pour neutraliser l’introduction de ce contrôle judiciaire. » (...)

De toute façon, il n’y a pas que l’hospitalisation sous contrainte qui doit être contestée : le “service libre”, censé être exclusif de toute contrainte, s’effectue en général en milieu fermé avec contrainte aux soins [obligation de prendre les médicaments prescrits]. En droit pur, on ne peut pas vous obliger, mais, dans les faits, on ne se gêne pas. Et si vous mouftez, on vous met en chambre d’isolement. Nous sommes en droit de parler de barbarie hospitalière dans la psychiatrie publique.

Je trouve inadmissible le raisonnement postulant : “On manque de personnel, donc on maltraite.” (...)

Nous ne soutenons pas ceux qui revendiquent davantage d’enfermement. (...)

« Depuis les années 1970, le mouvement antipsychiatrique proteste contre l’asile et ses murs, mais beaucoup moins contre les médicaments et la contrainte aux soins. Sur cette question, la réponse à la QPC que nous avons soulevée en 2012 contre la loi du 5 juillet 2011 est intéressante. D’abord, elle invalide le régime dérogatoire voulu par le pouvoir sarkozyste à l’endroit des personnes internées en unités pour malades difficiles et des pénaux irresponsables [7]. Ensuite, elle pose un sérieux problème sur la contrainte aux soins.

Car littéralement, le Conseil constitutionnel dit que la contrainte aux soins est exempte de toute contrainte. C’est difficile à comprendre… Disons que vous sortez de l’hôpital sous contrainte aux soins : vous devez suivre un programme de soins avec lequel vous êtes censé être en accord. Sauf que si vous n’obtempérez pas à la prise de traitement et aux rendez-vous ayant trait aux prescriptions, vous êtes réinterné. (...)

La France est un pays qui flirte souvent avec le régime autoritaire, si bien qu’il faut des conflits extrêmement durs et prolongés pour affirmer et créer des droits. Je suis évidemment partisan des luttes, pour ne pas subir une vie de déchéance et d’indignité. »

Est-ce que la multiplication de réseaux alternatifs, d’entraide, vous donne espoir ?

« J’étais très enthousiasmé par les GEM, les groupes d’entraide mutuelle. J’en ai fréquenté en tant qu’ancien patient. Mais en France, les mouvements d’usagers en santé mentale sont très institutionnels. Le système reste pour le moins paternaliste. Et certains GEM sont purement et simplement le prolongement des institutions psychiatriques, avec les “bons malades” de service, et les autres. De la même façon, les médiateurs de santé pairs [c’est-à-dire eux-mêmes (ex)-psychiatrisés] peuvent être des auxiliaires de la répression psychiatrique. »

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