
Mettre sur pied une unité militaire nigérienne n’est pas ce que la plupart des humanitaires considèreraient être la meilleure réponse à opposer à Boko Haram. Mais de l’avis de l’ONG Spirit of America, c’est précisément le genre d’aide musclée qui s’impose pour tenter d’en venir à bout, en parallèle de projets de développement générateurs de richesse plus traditionnels.
Cette association américaine à but non lucratif, s’est fixé une limite : la fourniture d’armes. Mais en contrepartie d’un don de 27 239 dollars, Spirit of America fournira tous les équipements non létaux dont peut avoir besoin une unité de 150 hommes patrouillant la frontière sud avec le Nigéria. Si ça fait un peu cher, vous pouvez toujours financer une lampe frontale pour 21 dollars, ou un kit de premiers secours pour 62 dollars.
« Spirit of America est une équipe philanthropique d’intervention rapide fournissant de l’aide humanitaire et un soutien économique afin de servir les intérêts de notre nation », proclame le général à la retraite Stanley McChrystal, qui s’est distingué en Afghanistan, sur la bannière du site Internet du groupe.
Son fondateur, le gourou du Web Jim Hake, raconte que l’idée lui est venue alors qu’il regardait un documentaire dans lequel un soldat des forces spéciales en Afghanistan gagne la confiance d’un village en distribuant à ses habitants des équipements de baseball collectés auprès de sa famille et d’amis aux États-Unis. En signe de gratitude, le village met sur pied une « patrouille de nuit » pour protéger les soldats américains, et les attaques de talibans s’arrêtent.
Avec son ONG, M. Hake prétend jeter une passerelle entre des troupes américaines bien intentionnées en mission dans des zones difficiles à travers le globe, et la générosité du peuple américain. Des représentants sur le terrain – tous d’anciens militaires – travaillent avec les soldats en tant que « spécialistes du capital-risque ». Leur mission consiste à comprendre les problèmes humanitaires que les soldats tentent de résoudre, puis à utiliser Internet « pour financer les capitaux, le savoir-faire ou les équipements requis de manière participative », a expliqué M. Hake.
En octobre, Spirit of America a financé un sommet local de lutte contre Boko Haram dans la région de Diffa, dans le sud du Niger – en partenariat avec l’unité de l’armée américaine chargée des affaires civiles et l’armée nigérienne – pour débattre de la manière dont mettre fin au flot de recrues captées par les combattants, et mieux contrôler la porosité des villages frontaliers. (...)
La politisation de l’aide est loin d’être un phénomène nouveau. Durant la guerre du Vietnam, l’association humanitaire Catholic Relief Services s’était délibérément alignée sur la politique militaire des États-Unis, et le gros de l’aide alimentaire avait servi à nourrir les forces populaires du gouvernement sud-vietnamien. En Afghanistan, les ONG étaient considérées comme des « multiplicateurs de force » et les équipes provinciales de reconstruction (EPR) – des unités civilo-militaires – étaient censées démontrer la valeur du pouvoir d’influence.
« Leurs intentions sont sincères. Ils veulent aider », a dit Ashley Jackson, chercheuse en conflits et situations d’urgence, à propos de Spirit of America. « Mais le danger est qu’ils brouillent les frontières et posent des problèmes aux travailleurs humanitaires qui tentent de faire leur travail de la manière la plus impartiale possible. »
Programmer l’aide efficacement est un métier. Et lorsque c’est mal fait – comme ça a été le cas avec les EPR, inefficaces et corrompus – le résultat peut être désastreux. Ces anciens militaires reconvertis en entrepreneurs humanitaires ont sans doute des aptitudes martiales, « mais dans les secteurs civil/du développement, ils n’ont probablement pas l’expertise ou l’approche qu’aurait une ONG locale avec plusieurs décennies d’expérience », a dit Mme Jackson à IRIN. (...)
Mais plus largement, a souligné Mme Jackson, la question est de savoir si les petits projets à l’impact rapide peuvent être davantage que de simples solutions palliatives, et s’ils tiennent réellement compte des dynamiques de ces conflits complexes.
« Il convient de s’inscrire dans une stratégie plus vaste pour y mettre un terme, plutôt que de se contenter d’appliquer un pansement dessus », a-t-elle dit.