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« Ici, on apprend à parler et à écouter, pas la soumission » : bienvenue au lycée expérimental de Saint-Nazaire
Article mis en ligne le 7 juin 2015
dernière modification le 2 juin 2015

Imaginez une école où les cours ne sont pas obligatoires, où il n’y a ni notes ni contrôles, où les élèves participent à la gestion de leur établissement, et où il n’y a pas de violences. C’est le quotidien du lycée expérimental de Saint-Nazaire qui a ouvert ses classes il y a trente ans. Mis en place pour répondre aux manques de motivation et à l’échec scolaire, cet établissement alternatif accueille chaque année 150 élèves, dont de nombreuses « gueules cassées » de l’Education nationale. Accompagnés par une vingtaine d’enseignants, ils construisent eux-mêmes leur formation et choisissent les matières qu’ils souhaitent étudier, des apprentissages classiques jusqu’à la climatologie ou la physique nucléaire. Une découverte très concrète de l’autonomie et de la démocratie.

Bientôt 10h, à Saint-Nazaire. Sur le pas de la porte du lycée expérimental, les fumeurs profitent du soleil printanier. Les ateliers vont reprendre. Les plus ponctuels s’engouffrent dans le hall, pour rejoindre leurs salles. Les autres s’attardent un peu à la Casbah, la cafétéria du lycée. Dans la cuisine, l’équipe de gestion, qui réunit des élèves et des enseignants, commence à préparer le repas. Au menu : tarte aux oignons, galettes de légumes, purée de patates douces, poisson. « Tous les matins, on fait une cagnotte, explique Lucie, élève en 1ère. Chacun donne ce qu’il veut, ou peut. On fait les courses et le menu en fonction de la somme récoltée. » Mise en place sur la proposition d’un élève, la cuisine du lycée fait maintenant partie des incontournables. C’est même un gros poste pour l’équipe en charge de la gestion. « On gère le lycée par quinzaine, précise Lucie. Chaque équipe de gestion compte une vingtaines d’élèves et trois "mee" (pour "membre de l’équipe éducative"). » En plus des repas, il faut s’occuper de la documentation (livres, ordinateurs, connexions Internet, journal du lycée...) et du secrétariat (relations avec l’extérieur, commandes éventuelles, (...)

Pas de personnel de cuisine, pas de secrétaire, pas de personnel d’entretien, et évidemment, pas de directeur. Le lycée expérimental de Saint-Nazaire est entièrement co-géré par ses 150 élèves et 20 enseignants, et ce depuis plus de 30 ans. L’aventure a commencé peu après l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981. (...)

« Les élèves sont maîtres de leur parcours, détaille Pierre, professeur de maths dans le secteur traditionnel pendant 20 ans, et "mee" à Saint-Nazaire depuis 2009. Pour nous l’apprentissage est un chemin. Certains le parcourent très vite, en ligne droite. Pour d’autres, c’est plus sinueux. »

Benoit, 19 ans, termine sa quatrième année au lycée, et il prévoit de rempiler l’année prochaine, pour « venir plus souvent et se mettre à bosser ». Dysorthographique – trouble de l’apprentissage de l’écriture – et dysgraphique, il témoigne avoir « beaucoup galéré à l’école ». Mal compris des enseignants, qui ne supportaient pas forcément qu’il ait un ordinateur en cours (pourtant nécessaire au vu de ses difficultés), il a souvent « pété les plombs ». Passionné d’informatique, il a profité de ces dernières années pour se former seul, en lien avec des associations défendant les logiciels libres. « Quand ça m’intéresse, j’apprends vite, témoigne-t-il. Mais c’est toujours difficile pour moi d’aller dans une salle de classe, même ici. »

Ouverte à tout le monde, l’inscription au lycée requiert deux conditions : avoir terminé le collège ou être âgé d’au moins 16 ans. Le fait qu’il n’y ait pas d’internat ajoute une condition de ressources aux jeunes qui n’ont pas de famille à Saint-Nazaire : ils doivent en effet se débrouiller pour se loger. (...)

« Ici, on apprend à parler et à écouter, pas la soumission »

Les choix budgétaires sont faits collectivement, au sein des diverses instances qui permettent au lycée de fonctionner. Parmi elles : le conseil d’établissement (CE), qui « dirige » le lycée, et dans lequel on trouve des élèves et des "mee". « Sur des questions secondaires, le CE prend les décisions seul, décrit Pierre. S’il a besoin d’entendre la parole de tout le monde, il organise des rencontres, par petits groupes, pour que toutes les paroles puissent exister. Et il est toujours possible de contester une décision. » Le CE change cinq fois dans l’année. « Il n’y a ni spécialistes, ni mandats longs. » Au lycée, on s’accorde pour dire que c’est plus efficace que de suivre des cours de citoyenneté ! « On apprend pas à faire du vélo en lisant des bouquins », ironise un enseignant [1].

Les rares lycées expérimentaux [2], et notamment celui de Saint-Nazaire, sont parfois montrés du doigt pour leurs piètres résultats au bac. Mais ils revendiquent d’autres curseurs pour évaluer leur réussite. « Ce qu’on vise, c’est qu’ils grandissent, qu’ils apprennent, qu’ils deviennent des citoyens éclairés », explique un enseignant (...)

« Ici, on apprend à parler, et à écouter, pense Aymeric, 19 ans. Alors qu’à l’école, on apprend à ne pas l’ouvrir, on apprend vraiment la soumission. »
L’évaluation collective remplace les notes

Divers outils servent l’apprentissage de l’autonomie. Le premier d’entre eux, c’est la cogestion. Au fil du temps, l’équipe éducative a pu vérifier maintes fois que c’est parce qu’ils ont un réel pouvoir que les élèves s’investissent et prennent en main leur formation (...)

L’interdisciplinarité, que l’actuelle ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem tente de faire passer dans sa réforme du collège, y est pratiquée depuis 30 ans. A la grande satisfaction des élèves et des enseignants. (...)

On se revendique lycée pour tous mais j’ai parfois l’impression que de lycée de la seconde chance, on est un peu devenu le lycée de la quatrième, voire cinquième chance. Il y a de plus en plus de gueules cassées de l’éducation nationale. Cela n’est pas sans poser certains problèmes. Pour ceux qui ont du mal à gérer leur vie, gérer un lycée, c’est encore plus difficile. » « Beaucoup de choses se bouleversent quand on est ici, avance Marguerite. C’est très épanouissant d’être autonome, et je suis très contente de mon année ici, mais parfois, c’est fatigant. Faire sa place d’individu face au collectif, apprendre que l’un va avec l’autre, essayer de comprendre qui on est... il y a tant à apprendre ! Et à côté de ça, il faut travailler le bac. Ce n’est pas toujours évident. Certains élèves n’arrivent pas du tout à travailler, ils décrochent complètement. » (...)

« Nous sommes plutôt heureux ici », résume Aymeric. Très fâché avec le système traditionnel, où il était un élève « turbulent et impertinent », le jeune homme défend son lycée avec beaucoup d’enthousiasme. « Ici, j’ai ré-appris à apprécier les gens, tous les gens. J’ai découvert qu’il y a du bon en chacun. » Dans leur ensemble, les élèves apprécient beaucoup les relations apaisées qu’il y a entre eux. « Il n’y a pas d’effets de meute, avec un élève qui s’en prend plein la gueule, constate Jason. On peut vivre sa vie sans que personne ne nous embête. » Pour Erwan, « ici, c’est facile de créer des liens. Dans les autres établissements, les relations entre élèves sont dures. » « Je ne pense pas que ce soit la panacée, ici, termine Pierre. Mais sur l’absence de violences, sur l’enseignement sans notes, sur l’interdisciplinarité, sur la démocratie, on expérimente. Ce sont des sujets sur lesquels on a quelques petites choses à dire. »