Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
CQFD
« Il faut repolitiser les conflits africains »
Article mis en ligne le 13 mai 2015
dernière modification le 6 mai 2015

Le développement de l’action humanitaire depuis les années 1970 couplé aux « guerres justes » contre le terrorisme a gommé la dimension politique des conflits armés en Afrique. Marielle Debos, chercheuse en science politique, nous éclaire sur la nécessité de renouer avec une pensée du politique.

Marielle Debos : Les discours dominants tendent à les dépolitiser. Ces conflits sont traités soit comme des questions sécuritaires – « il faut s’y intéresser parce qu’ils représentent une menace au-delà du continent africain » –, soit comme des questions humanitaires – « il faut s’y intéresser parce qu’il faut aller sauver les Africains » –, beaucoup plus rarement comme des questions politiques. Or, si l’on veut créer les conditions d’une solidarité internationale qui ne fonctionne pas uniquement sur le mode de la charité, il faut rendre ces conflits lisibles et restituer leur dimension politique.

Dans votre article « Milices et sous-traitance de l’(in)sécurité [1] » vous soulignez les dangers des grilles de lecture exclusivement ethniques ou religieuses. Quelle place faites-vous aux questions identitaires dans votre analyse ?

Dans les années 1990, les conflits africains étaient d’emblée étiquetés « ethniques ». Aujourd’hui, la violence est présentée comme un problème avant tout religieux. Par exemple, les affrontements qui ont éclaté en Centrafrique en 2013 ont été interprétés comme inter-religieux, alors même que les lignes de clivage entre les forces politiques et les groupes armés étaient plus complexes qu’une simple opposition entre chrétiens et musulmans. Cette vision du conflit réifie les identités et néglige le rôle des entrepreneurs politiques qui jouent la carte de la religion  : les rebelles de la Séléka, les milices dites anti-balaka, mais aussi, avant eux, l’ancien président François Bozizé. La religion est un registre de la mobilisation politique, mais elle n’est pas la cause du conflit – encore moins sa cause unique. Expliquer le conflit par la religion revient à le dépolitiser  : la focalisation sur les questions identitaires crée un écran de fumée sur les ressorts économiques et politiques de la violence. (...)

Si la religion ne peut à elle seule tenir lieu d’explication, comment faut-il appréhender le développement des groupes djihadistes comme Boko Haram au Nigeria ?

Boko Haram a un discours djihadiste. Sa communication s’inspire de celle de l’État islamique même si les deux groupes se sont développés dans des situations très différentes. La radicalisation religieuse n’est cependant pas un processus qui se déroulerait uniquement sur le plan de la religion ou des idées. Pour comprendre comment des gens finissent par s’enrôler (ou par être enrôlés) dans de tels groupes, il faut prendre en compte leurs trajectoires sociales et le poids des contextes. S’intéresser à l’histoire des gens ordinaires qui à un moment de leur vie s’engagent dans des groupes violents permet une compréhension plus fine de la dynamique de ces groupes que la seule hypothèse d’une adhésion « idéologique » au « projet djihadiste. » On a besoin d’analyses qui considèrent la religion comme un fait social comme un autre et qui prennent en compte les processus multiples qui participent de la création et du développement des groupes armés. Dans le cas du Nigeria, il faut notamment réfléchir à la position des populations qui se retrouvent prises au piège entre la violence de Boko Haram et celle de la contre-insurrection. (...)

Au Tchad, l’armée n’a pas bonne réputation. Elle est gouvernée par l’impunité  : les exactions des officiers les plus puissants ne sont jamais sanctionnées. Il ne s’agit pas d’un simple dysfonctionnement mais plutôt d’un mode de gouvernement  : octroyer l’impunité à certains individus est un moyen de remercier les affidés et de freiner les velléités de révolte des autres. L’impunité et les illégalismes d’état participent du contrôle de la population. On parle beaucoup des actions des militaires tchadiens au Mali (ils se sont battus aux côtés des militaires français dans le cadre de l’opération Serval) et dans le bassin du lac Tchad où ils affrontent Boko Haram. Mais on parle moins du rôle de la même armée en Centrafrique  : en avril 2014, les soldats tchadiens ont dû se retirer du pays après avoir été accusés par l’ONU d’avoir tiré sur des civils. (...)

e qui a permis au Tchad d’obtenir aussi rapidement ce nouveau statut d’État stable, ce sont moins les réalités politiques et sociales du pays que le contexte de la « guerre contre le terrorisme » – une expression inventée par l’administration Bush et que François Hollande a utilisée à propos de l’intervention armée au Mali. Le président tchadien, Idriss Déby, a bien compris ce qu’il avait à gagner de ce nouveau rôle d’allié, comme son prédécesseur Hissène Habré avait su tirer les bénéfices de sa position anti-libyenne au temps de la Guerre froide.

En quoi l’interventionnisme occidental en Afrique peut provoquer l’aggravation des violences existantes ?

On ne peut faire de généralités  : ces interventions ne se déroulent pas toutes dans les mêmes contextes politiques, n’ont pas toutes les même cadres juridiques, ni les mêmes effets sur le terrain. Mais elles peuvent effectivement avoir des effets désastreux. On a atteint des sommets d’aventurisme en 2011 avec l’intervention armée en Libye, quand Nicolas Sarkozy a mobilisé une coalition internationale pour accélérer la chute de Kadhafi – quatre années après avoir reçu le même Kadhafi avec faste à Paris. Cette intervention a des conséquences lourdes en Libye mais aussi dans le Sahara et le Sahel  : la Libye est en guerre et cette situation a profité aux groupes armés djihadistes de la région. Et la réponse à la prolifération de ces groupes est à nouveau militaire…