
La question du revenu d’existence universel, confinée dans des cercles étroits pendant longtemps, est arrivée en pleine lumière avec la campagne présidentielle de Benoît Hamon. Je ne m’interroge ici ni sur le bien-fondé de cette campagne, ni sur la thématique générale du revenu d’existence, ce que j’ai fait sur ce blog à de nombreuses reprises[1]. J’examine aujourd’hui seulement un argument qui, à lui seul, mérite une chronique.
La formule que j’adopte pour le titre de ce texte « il n’y a pas de travail productif au-delà de l’emploi » peut surprendre car on entend le plus souvent exactement l’idée opposée. Il y aurait, paraît-il, un « au-delà de l’emploi »[2], dans lequel se nicheraient de gigantesques réserves de travail permettant de résoudre le chômage autrement qu’en cherchant désespérément à créer des emplois. On reconnaît là les assertions selon lesquelles le salariat est d’un autre siècle, que l’insertion dans la société par le travail n’a plus cours, que la fin du travail est arrivée, que le plein emploi est définitivement terminé et qu’il faut donc le remplacer par la pleine activité. L’idéologie a mille visages, elle est comme l’hydre de Lerne : il lui pousse autant de têtes que l’on en coupe. Ne désespérons pas, coupons-en quelques-unes quand même, en remarquant qu’on entend tout et son contraire : « il y a de moins en moins de travail » d’un côté, et « ce n’est pas le travail qui manque » de l’autre. (...)
Il n’y a rien au-delà du travail-emploi, sauf à décider que ce qui échappe à la logique de l’économie et de la comptabilité monétaire doit y rentrer de force, ou à favoriser une zone grise où du faux travail indépendant se développerait à la mode d’Uber. On voit donc l’enjeu politique de la bataille sémantique : l’au-delà qui est projeté n’est que l’au-delà des droits sociaux, l’au-delà de l’égalité de droits, c’est-à-dire l’abaissement général. (...)
Il est donc vain de chercher du travail en dehors de l’emploi et mystificateur de vouloir remplacer le plein emploi par la pleine activité, l’idée de cette dernière ayant germé dans les officines de l’OCDE et, pour la France, au sein du Commissariat général au Plan, au début des années 1990, quand les politiques néolibérales laissaient sciemment filer le chômage. Face à la troisième révolution industrielle portée par l’informatique, le numérique et la robotique, afin de faciliter les emplois, faut-il taxer les robots ? Ce serait un risque pour l’investissement. Faut-il les taxer pour payer un revenu universel ? Si on taxait les robots, ils seraient l’assiette du calcul de la taxe, mais cette taxe resterait prélevée sur la valeur ajoutée par le travail et par lui seul.[3] C’était déjà le même débat lorsque, à quelques-uns (peu nombreux !) nous plaidions, même contre nos propres amis, en faveur de l’élargissement de l’assiette des cotisations sociales à l’ensemble de la valeur ajoutée nette pour financer les retraites et, au-delà, toute la protection sociale. J’invite à relire le texte de ce blog intitulé « Taxer le soleil, le travail ou taxer la bêtise ? » (17 mars 2014).
Pour diminuer le chômage, c’est-à-dire donner un emploi à tous, il n’y a pas d’autre solutions que la réduction du temps de travail et la refondation écologique du modèle productif.
Et, pour relativiser la place du travail dans nos vies, il ne s’agit pas de le nier en espérant que de la richesse tombe du ciel, mais d’en réduire la durée pour tous en devenant économe de nos forces et des ressources naturelles. La bonne nouvelle est que, si on produit en respectant le social et l’écologie, il faudra plus de travail globalement, mais moins pour chacun. (...)
Notre époque aura vu passer les lubies post-quelque chose qui sont autant de constructions purement idéologiques, donc illusoires : société post-industrielle, homme post-industriel, post-humanisme, post-travail ; dernière en date : post-vérité. Que disait Einstein quand on lui demandait comment se faire une idée de l’infini ? « Regardons l’univers, mais je n’en suis pas sûr, regardons la bêtise humaine… ».