
Vous avez remarqué, certainement : il se passe quelque chose aux Etats-Unis ! D’abord, pendant des mois, on a entendu parler d’un gros abruti, l’odieux milliardaire Donald Trump, The Donald, qui casse la baraque au parti républicain en vue des présidentielles de fin 2016. Mais voici que depuis quelques semaines on entend aussi parler du sympathique socialiste – socialiste ! – Bernie Sanders, The Bern – Feel the Bern ! disent ses supporters ! – qui, lui, casse la baraque au parti démocrate et commence même à passer pour éligible – un socialiste à la Maison Blanche !
(...) L’impérialisme nord-américain est le plus puissant du monde mais il est sévèrement en crise. Son éruption interventionniste faisant suite aux crimes du 11 septembre 2001, qui en ont donné la possibilité politique, l’a finalement affaibli, conduisant à la fois à l’élection d’Obama et à la faillite de Lehman Brothers, ces deux évènements concomitants de l’automne 2008.
Après deux mandats d’Obama, 8 ans, la crise au sommet et le mécontentement en bas sont spectaculaires.
Au sommet le fait le plus frappant est une ankylose qui aboutit à un quasi non renouvellement des élites dirigeantes. (...)
Le meilleur, ou le pire, justement, dans ce contexte, est passé devant : le milliardaire Trump finance sa campagne en auto-entrepreneur, avec un discours anti-élites, anti-Washington, anti-Wall Street, prétendant que les salaires monteront quand les hispaniques seront virés, appelant à casser du musulman, saluant Poutine en « vrai chef d’Etat » (il lui a répondu : Trump serait un excellent président pour Poutine, un vrai homme et pas une lopette comme l’autre …), disant s’opposer au traité économique transatlantique : un mélange de protectionnisme, de défense des « petits » contre les « gros », de clientélisme, avec une très forte dose de racisme.
Les couches petites-bourgeoises, ou, souvent, plus exactement les couches sociales prolétariennes qui ont cru qu’elles faisaient partie de la « classe moyenne », ce grand mythe américain, et qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts, dans les campagnes profondes et les petites villes, adhérent souvent, faute de mieux, à ce discours qui, pour entièrement capitaliste et réactionnaire qu’il est, n’est pas celui de l’ « establishment ». (...) La poussée « populiste » en faveur de Trump ne pouvant guère, en raison de son racisme affiché, s’étendre aux hispaniques et encore moins aux noirs, la candidature Trump à elle seule ne suffit cependant pas à provoquer l’implosion de la classe politique institutionnelle des Etats-Unis. Trump n’est pas si nouveau : en prélevant des pièces sur tel ou tel analphabète fortuné ayant été un jour ou l’autre candidat à l’investiture républicaine depuis 30 ans, on peut composer un mannequin de foire à son effigie. (...)
The Bern.
Derrière le « phénomène Sanders » il y a assurément la poussée des luttes sociales depuis la crise, et surtout depuis 2011 : grève générale du Wisconsin, nombreuses grèves dans divers secteurs, des instituteurs de Chicago aux fast-foods et mouvement pour le salaire minima à 15 dollars de l’heure, mouvement occupy wall street.
La recherche d’une traduction politique électorale de cette effervescence s’était déjà traduite localement, le fait le plus avancé étant l’élection, et la large réélection récente, de Kshama Sawant, institutrice d’origine indienne, membre du groupe d’origine trotskyste Socialist Alternative et candidate sous l’étiquette de socialiste, dans un important district de Seattle. Mais tout le monde ressentait comme impossible la réédition à l’échelle nationale d’un tel exploit, le financement, les médias, et le cadre séculaire des « primaires » démocrates et républicaines, verrouillant complètement le système.
Bernie Sanders s’est porté candidat à l’investiture démocrate à l’été 2015 et n’était pas, auparavant, membre du parti démocrate auquel il n’a adhéré qu’après avoir demandé son investiture (...)
Occupy democrats, s’intitule l’un des réseaux de soutien à B. Sanders ! De fait, bien des jeunes et des travailleurs qui le soutiennent n’ont pas d’illusions sur le parti démocrate en tant que tel.
Qui est Bernie Sanders ? D’une famille de juifs polonais largement décimée par les nazis, né en 1941, il grandit à Brooklin, dans les quartiers pauvres de New York, et rejoint, dans les années 1960, la Young Socialist People League, organisation de jeunesse du Parti socialiste américain, participant notamment au mouvement pour les droits civiques des noirs. (...)
Bernie Sanders est donc issu du mouvement ouvrier nord-américain, ce qui ne fait pas de lui un « révolutionnaire » mais qui reste marqué dans ses interventions, qui se réfèrent à la « classe ouvrière » à un point qui a disparu depuis longtemps des discours de n’importe quel leader du PS ou même du PCF de chez nous. Sa décision d’aller chercher l’investiture démocrate fait-elle de lui un « candidat capitaliste » ?
La nature de la campagne Bern.
Elle intervient en 2015, dans le contexte de crise du système politique US, et au lieu d’offrir une accalmie à cette crise, elle l’aggrave. Tout commentateur « révolutionnaire » ferait bien de s’enfoncer cette réalité dans la tête : oui, les « primaires » sont tout ce que vous voulez, un cirque, un marché, une duperie, un trucage, une addition de magouilles, mais la crise sociale et institutionnelle aux Etats-Unis a abouti à cette réalité, sans doute transitoire, en cette année 2016 : aux Etats-Unis aujourd’hui c’est dans « les primaires » que les choses se passent, que la recherche d’une issue par la masse mécontente d’en bas, et la crise de renouvellement de ceux d’en haut, se rencontrent.
Les masses s’y intéressent, beaucoup plus qu’à des élections régionales en France par exemple ! (...)
L’enthousiasme des jeunes est en train, sur les campus et par là jusque dans les mêmes petites villes et campagnes où n’était parvenu jusque là que l’image « antisystème » de Trump, de se développer en mouvement de masse. La génération parvenue à l’âge adulte après la crise de 2008, c’est la génération Sanders. (...)
La « révolution politique » ce serait donc le retour de « nous, le peuple » dans la Constitution, lui redonnant son contenu social : pour créer une sécurité sociale « à la française », généraliser le salaire minima à 15 dollar de l’heure, subventionner les coopératives, racheter les dettes des étudiants, il faudra augmenter les impôts sur la richesse et sur le capital, ce qui sera impossible sans une population organisée et mobilisée dans chaque comté, chaque Etat, et au niveau de l’Union. Ce discours « neuf » ne renie pas trois grandes références passées : Martin Luther King, Franklin Delano Roosevelt et le fondateur du socialisme américain, Eugène Debs, dont Sanders a le portrait dans son bureau. C’est un discours « progressiste » ou « populiste » au sens américain, avec un ancrage ouvrier – Debs ! -, qui relève de la tradition des tentatives de « tiers partis » basés sur « le peuple ». Des secteurs de l’establishment démocrate, notamment l’ancien secrétaire au Travail de Clinton (Bill), Robert Reich, commencent à le soutenir. (...)
Le principal obstacle dans la conquête d’une majorité à l’investiture démocrate, conquête qui elle-même ne signifie pas l’investiture car trucages et magouilles seront au rendez-vous, revêt maintenant un sens politique de première importance : il s’agit du vote noir.
Le discours pro-Clinton et les discours gauchistes ici se rejoignent : Sanders est voué par les uns aux gémonies pour ne pas être un candidat révolutionnaire « indépendant », mais les uns et les autres considèrent que dans ces conditions il serait normal, dans l’ordre des choses, que les noirs votent Clinton ainsi que le caucus noir des représentants au Congrès les y appelle. (...)
Le fond de la question est que les noirs, le mouvement d’émancipation afro-américain, se trouve, maintenant, devant un dilemme et devant une responsabilité.
Outre la montée des luttes de classe, les 8 années d’Obama ont vu la question noire reprendre une acuité sans précédent. Le fait que le président soit « noir » et que les noirs dans la vie réelle n’aient connu aucune amélioration et que, pire, le déchaînement policier assassin contre eux se soit fortement aggravé dans la dernière période, entraîne une intense réflexion collective. (...)
Que faire tout de suite ?
Premièrement, soutien à Sanders.
Deuxièmement, explication pour faire basculer le vote noir du clientélisme à l’intervention active dans la lutte des classes, par le vote Sanders.
Troisièmement, campagne pour un maintien de Sanders quoi qu’il arrive.
En dehors de ces trois axes immédiats, toute politique révolutionnaire aux Etats-Unis aujourd’hui ne saurait être que pâle littérature. Avec ces trois axes, on peut, on doit, organiser !