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La vie des idées
Incarcération totale L’enfermement solitaire aux États-Unis à l’ère de la prison de masse
Article mis en ligne le 24 novembre 2015

Il y a aujourd’hui deux millions de détenus aux USA, avec un recours croissant à l’enfermement solitaire de haute sécurité. La violence de ce dispositif et ses effets dramatiques, tout particulièrement sur les détenus les plus jeunes ou souffrant de troubles psychiatriques, fait maintenant l’objet d’un débat public.

Un soir du printemps 2010, alors qu’il rentrait chez lui après une fête, Kalief Browder est interpellé par la police dans la rue. On l’accuse d’avoir volé un sac à dos. Il jure qu’il n’a rien fait. On fouille ses poches, rien. On l’emmène au poste. Kalief est noir, il est pauvre, il a dix-sept ans, il ira en prison dans l’attente du procès. Lorsque, faute de preuve, un juge décide de sa libération, il a vingt ans.

Le cas de Kalief Browder est un cas extrême de dysfonctionnement du système judiciaire américain, mais il dit beaucoup sur la facilité avec laquelle on incarcère aux États-Unis. (...)

Un rapport dévastateur du procureur général de Manhattan, rendu public à l’été 2014, dénonçait la violence endémique des prisons de Rikers Island et en particulier le recours excessif aux quartiers d’isolement de haute sécurité dans lesquels des adolescents sont placés en régime d’inactivité forcée et de privation de tout contact humain pendant des périodes de plusieurs mois. (...)

En 2015, les prisons américaines enferment plus de deux millions de personnes, près d’un quart de l’ensemble des prisonniers du monde.

Ce « virage punitif » s’observe à tous les échelons du système pénitentiaire, malgré son hétérogénéité et sa fragmentation (...)

Alors que les États-Unis avaient été en pointe, historiquement, dans la réhabilitation des condamnés, par des mesures telles que la libération conditionnelle ou la permission de sortir, ces mesures tendent à disparaître, tant au niveau fédéral qu’au niveau des États, au motif qu’elles seraient trop favorables aux criminels, et exposeraient les citoyens à des dangers intolérables. (...)

La surincarcération de la minorité noire est telle que, selon les estimations de démographes, un Noir américain sur trois risque de connaître la prison au cours de sa vie ; deux sur trois si l’on considère les jeunes sans qualification (...)

Les évolutions de la pénalité sont également spectaculaires s’agissant des malades mentaux. Elles sont souvent négligées dans les travaux de recherche car, cette fois, ce sont paradoxalement des idées progressistes qui ont contribué, indirectement, à une incarcération massive des fous. (...)

La massification de l’enfermement a conduit à des situations de surpopulation carcérale, de promiscuité, parfois d’entassement de détenus dans des gymnases aménagés sommairement. Elle a coïncidé également avec le développement d’une rationalisation de la gestion de la détention, basée sur des scores de risque auxquels correspondent des structures différenciées d’enfermement. Pour maintenir l’ordre dans un système aussi surmené, il fallait pouvoir mettre à l’écart les perturbateurs. Le régime de solitary confinement est paradoxalement devenu de plus en plus courant à mesure que la prison se massifiait (...)

En l’absence de supervision effective ou d’organes indépendants d’inspection du type de ceux imposés par la Convention de prévention de la torture, les dérapages sont fréquents. (...)

Ce n’est cependant que depuis cinq ans qu’on observe un infléchissement des pratiques répressives. La crise financière de 2008 a porté l’attention sur l’ampleur du poids des dépenses liées à l’incarcération dans les budgets des États. L’élection de Barack Obama, si elle n’a pas introduit de révolution en matière pénale, a permis un renouvellement des débats et la révision de certaines politiques. (...)

. Dès 2014, on observe une baisse significative du nombre de détenus, la première depuis trente ans. La visite d’Obama dans un établissement pénitentiaire en juillet 2015 marque symboliquement la volonté de poursuivre cet effort de réforme de la justice pénale, et de modération du tout-répressif par le soutien à des programmes de réinsertion.

La question du recours à l’isolement dans les unités de haute sécurité commence à émerger comme un problème (...)

L’unité d’isolement de haute sécurité connaît un succès remarquable à l’international, malgré son coût élevé [17] : l’ouverture de nouveaux établissements de haute sécurité en France, à Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil témoigne de cette tendance, mais aussi de la diffusion des problèmes engendrés par ce type d’établissement. Bien que les régimes d’incarcération de haute sécurité en France semblent actuellement moins drastiques qu’ils ne le sont aux États-Unis, des témoignages font état d’une augmentation de tensions et de violences dans ce type d’établissement. La délégation au système pénal de la prise en charge d’un nombre croissant de malades mentaux conduit en France à des problèmes similaires aux États-Unis en matière de sécurité en détention (...)

Depuis l’Europe, on se demande souvent si les États-Unis parviendront à rompre avec ces pratiques d’enfermement d’une violence extrême. Mais il serait pertinent de retourner la question, pour se demander comment, en France, nous parviendrons à y échapper.