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Les eaux glacées du calcul égoïste
Inondations : une responsabilité collective
Sylvain Rotillon, fonctionnaire et spécialiste de la gestion de l’eau et des risques
Article mis en ligne le 13 octobre 2015

Dans la catastrophe du week-end dernier, après avoir un temps mis sur la sellette les prévisionnistes, forcément coupables de ne pas connaître l’avenir avec précision, les vraies questions ont rapidement émergé : celles sur l’urbanisation insensée, sur l’imperméabilisation des sols à outrance.

Eric Ciotti a évoqué dans le Figaro le fait qu’ « il y a eu des erreurs commises il y a 50 ans quand l’État délivrait les permis de construire », ce qui n’est pas faux, mais a oublié de souligner que la tendance ne s’est pas inversée quand les maires ont récupéré cette compétence. D’autres l’ont fait pour lui, rendant les élus locaux responsables de cette dérive.

Et il suffit de regarder les photos aériennes historiques sur le site Géoportail pour constater qu’elle est bien réelle, qu’elle n’a pas pris fin avec les lois de décentralisation.

Il ne faudrait pas oublier de citer les promoteurs, aménageurs, forcément coupables car leur objectif est bien de gagner le plus d’argent possible, au prix de vies humaines dans certains cas.

Si ces responsabilités existent, il ne faudrait pas en faire une généralité. La responsabilité, ce n’est pas uniquement les autres, nul ne peut totalement s’en défausser.

Les études statistiques du ministère en charge de l’environnement montrent que l’artificialisation des sols est liée pour plus de la moitié à l’habitat dont la surface occupée a augmenté cinq fois plus vite que la population.

Les séparations au sein des ménages font que le besoin en logements augmente plus vite que la population, les standards de confort actuels font que la taille des logements croît sans cesse, le rêve collectif est celui du pavillon plutôt que de l’habitat collectif, les pratiques de loisir favorisent la terrasse pour le barbecue plutôt que le potager… ce sont avant tout ces motivations qui génèrent cette surconsommation d’espace.

Les élus, dans leur immense majorité, ne font que répondre à cette demande en accordant des permis. En dehors de quelques cas médiatisés, ou pas, de malversations, c’est cette somme de « petites » demandes individuelles qui finit par générer un énorme gaspillage.

Pour un élu qui ambitionne de se faire réélire, il n’est pas toujours facile de refuser un permis à un administré. La sanction par les urnes est plus redoutable que celle par la catastrophe qui statistiquement a moins de chance de se produire.

Les élus, consciemment ou non, font ce pari.

Alors que les bassins versants s’imperméabilisent, les zones inondables n’échappent pas à la soif de foncier. Pourtant, bien que l’inondation soit un risque non seulement connu, mais prévisible et certain, il faut se battre pour faire accepter qu’on ne construit pas en zone inondable comme on le fait ailleurs. (...)

Une contrainte majeure est que la prévention via la construction est à assumer individuellement alors que la réparation se fait de façon collective, via la solidarité nationale.

Ce pari, suicidaire collectivement, ne tient que parce qu’il est collectivement accepté. L’état de catastrophe naturelle est déclaré immédiatement, ça ne fait pas débat. On ne fera pas le tri entre ceux qui ont fait le pari et les autres, tout le monde sera aidé.

Rejeter la faute sur l’État, les élus, les aménageurs n’est ainsi qu’une façon facile de se dédouaner de notre responsabilité collective. C’est notre mode de vie, nos représentations sociales qui au bout du compte conduisent à ces impasses, à ces drames.

L’imperméabilisation, les constructions inadaptées en zone inondable, ce n’est pas une malédiction imposée par quelques uns, c’est aussi un choix collectif. Jusqu’à quand ?