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La Quadrature du Net
Instrumentaliser la terreur pour contrôler les communications chiffrées : une dérive dangereuse et anti-démocratique
Tribune de Jérémie Zimmermann, co-fondateur de La Quadrature du Net, initialement publié et édité par Taz en allemand le 12 février 2015
Article mis en ligne le 17 février 2015

Les attentats de janvier à Paris ont déclenché une vague de discours sécuritaires et de dangereux projets législatifs s’annoncent bien au-delà des frontières françaises. Un contrôle des communications en ligne, de la surveillance, des attaques contre l’expression anonyme et le chiffrement sont déjà à l’ordre du jour, sous prétexte de combattre un ennemi invisible dans une guerre perpétuelle.

En novembre 2014, le Premier ministre Manuel Valls et le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve ont vu leur nouvelle loi anti-terrorisme être adoptée à l’unanimité. Cette loi permet au ministère de l’Intérieur de censurer des sites web s’il estime qu’ils incitent au terrorisme. Elle retire également les mesures de protection de la liberté de la presse pour les propos relevant « d’apologie du terrorisme », et permet la mise en place administration d’une restriction des déplacements et d’une surveillance pour les individus considérés comme terroristes potentiels. L’institution gouvernementale chargée de la protection des droits de l’Homme, la CNCDH (Commission Nationale Consultative pour les Droits de l’Homme) a elle-même considéré que cette loi constituait une violation des droits fondamentaux. Pour couronner le tout, après avoir été adopté en procédure d’urgence, le nouveau texte n’a même pas été examiné par le Conseil Constitutionnel, aucun groupe politique n’ayant osé le remettre en question de peur d’être taxé de « pro-terroriste ».

Quelques mois auparavant, en décembre 2013, la Loi de Programmation Militaire avait déjà été adoptée dans des conditions similaires, autorisant la surveillance en masse, sur simple requête administrative, de nombreux types de données provenant de sources diverses, pour des buts multiples. (...)

Dans les semaines à venir, MM. Valls et Cazeneuve proposeront une nouvelle loi sur le renseignement. Dans le contexte actuel, il est probable que ce nouveau texte apportera son propre lot de nouvelles mesures de surveillance, de pouvoir renforcé pour l’exécutif et la police, et de réduction constante du rôle du judiciaire en tant que gardienne-fou des droits fondamentaux. Tout porte à croire qu’Internet deviendra le bouc émissaire de ces atteintes à nos libertés.
(...)

Le Premier ministre britannique M. Cameron a prétexte les attaques de Paris pour lancer une offensive contre la liberté des citoyens à communiquer de façon sécurisée en chiffrant leurs messages, ce que le coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme a rapidement soutenu dans une note préparatoire destinée au Conseil Européen (...)

Développer, améliorer et diffuser des logiciels libres pour le chiffrement « de bout en bout » et les communications décentralisées encourage le développement de talents et d’économies locales. Cette démarche donne aux citoyens le pouvoir de partager les connaissances technologiques et d’être eux-mêmes acteurs de la sécurité de leurs données et communications. En outre, c’est une façon de construire des modèles de sécurité résilients permettant à nos sociétés de mieux résister à des tentatives de contrôle totalitaire. Des politiques industrielles intelligentes pourraient favoriser le développement de logiciel et matériel libres (par entre autres des incitations fiscales, la commande publique, l’éducation supérieure) comme un objectif stratégique pour un futur technologique permettant des sociétés libres et justes. (...)

Les enquêteurs qui travaillent sur des crimes graves disposent d’une multitude de moyens d’accéder au contenu des communications d’un individu, à travers une surveillance ciblée qui peut et doit être contrôlée démocratiquement. (...)

Les autres techniques, basées sur la surveillance de masse et la corruption de la technologie elle-même sont inefficaces pour cela. En permettant un espionnage économique et politique de grande envergure, elles sont un redoutable outil de contrôle social, menant inévitablement à des abus. Cette doctrine est incompatible avec la démocratie.

Si les libertés fondamentales, y compris le droit aux communications privées et à l’expression anonyme, ne sont pas pleinement protégés par ceux qui prétendent combattre les criminels qui cherchent à détruire nos sociétés, nous obtiendrons à coup sûr le pire des deux mondes : la peur et le contrôle autoritaire.

En tant que citoyens, nous devons résister collectivement à cette instrumentalisation de la terreur par ceux qui veulent restreindre nos libertés et contrôler les populations, avec l’illusion qu’ils seront ainsi maintenus au pouvoir. Pour ce faire, nous devons investir nos énergies dans la diffusion, le développement et l’amélioration des technologies basées sur le logiciel libre, les communications décentralisées et le chiffrement de bout-en-bout. En parallèle, nous devons créer une dynamique politique pour imposer une évaluation en profondeur des pratiques de surveillance et reprendre le contrôle des institutions de renseignement lorsqu’elles sont hors de contrôle, et mettre en place des politiques qui protégeront efficacement et durablement nos libertés en ligne et hors ligne.