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club de Médiapart/ dominique vidal Historien et journaliste indépendant, spécialiste des relations internationales
Israël-Palestine : les (dé)raisons de l’escalade
#Israel #Palestine #extremedroite #democratie
Article mis en ligne le 29 avril 2023
dernière modification le 28 avril 2023

(...) Trois mois d’un mouvement de protestation inédit ont contraint Benyamin Netanyahou à un premier recul. Mais la crise est loin d’être terminée. D’autant que l’année 2023 marque d’ores et déjà une escalade de violences sans précédent depuis près de vingt ans.

(...) Les grandes dates de l’histoire du conflit :

  • Le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël
  • Une jeunesse palestinienne qui se défend à nouveau par les armes
  • Une communauté internationale attentiste
  • Une impasse stratégique (...)

Le premier facteur de l’escalade actuelle, c’est le nouveau cabinet israélien investi par la Knesset fin décembre 2022, suite aux élections législatives du 1er novembre [1] – les cinquièmes organisées en quatre ans par Netanyahou afin de reconquérir le pouvoir et d’échapper aux procès pour corruption qui pourraient l’amener en prison. Sa nouvelle coalition forme, selon l’ancien Premier ministre Ehoud Barak, un « gouvernement aux valeurs fascistes [2] ».
Autour d’un Likoud radicalisé (32 sièges sur 120), allié à deux partis ultra-orthodoxes plus théocratiques que jamais (18 sièges), il comprend, pour la première fois, trois partis suprémacistes, racistes et homophobes alliés au sein du Sionisme religieux (14 sièges). Aux dirigeants de ces derniers, Netanyahou a offert des ministères essentiels : à Itamar Ben Gvir la Sécurité nationale, à Bezalel Smotrich les Finances mais aussi la Cisjordanie et à Avi Maoz l’Identité juive nationale[3]…

C’est à ces trois personnages que pense l’historien israélien des années 1930 Daniel Blatman en affirmant : « Cela rappelle vraiment l’Allemagne en 1933. » D’ailleurs, Smotrich lui-même n’a-t-il pas reconnu : « Je suis un fasciste homophobe [4] » ? Même la nièce de Netanyahou, la professeure Ruth Ben-Artzi, a rompu un long silence pour déclarer : « Ma famille promeut le fascisme [5] »…

La formule courante – « le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël » – me semble sous-estimer le changement qualitatif représenté par cette coalition. (...)

Il y a près de 30 ans, le 13 septembre 1993, les accords d’Oslo signés par Itzhak Rabin et Yasser Arafat amorçaient un processus censé mener à création d’un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël. La droite israélienne, conduite déjà par Netanyahou, organisa une campagne de haine qui déboucha sur l’assassinat d’Itzhak Rabin, le 4 novembre 1995, par un jeune juif religieux ultra-nationaliste. Quelques semaines plus tôt, un certain Itamar Ben Gvir, militant du parti fasciste interdit de Meir Kahane, brandissait à la télévision la plaque minéralogique de la voiture du Premier ministre et lançait : « On est arrivés à sa voiture. On arrivera bien jusqu’à lui [11] »… (...)

Du « processus de paix », la jeunesse palestinienne d’aujourd’hui n’a connu que la colonisation et la répression, avec leur cortège de terres confisquées, de maisons détruites, d’oliviers arrachés, d’hommes et de femmes emprisonnés, souvent sans jugement, ou tués. (...)

Le printemps 2021 a représenté un signal d’alarme. Les provocations d’alors des suprémacistes à Jérusalem-Est ont placé Israël dans une situation qu’il n’avait jamais connue depuis 1948 : la jeunesse palestinienne s’est révoltée à Jérusalem, mais aussi en Cisjordanie et – pour la première fois – dans les villes dites mixtes d’Israël : Haïfa, Jaffa, Lod, Saint-Jean d’Acre… Lynchages réciproques, incendies, descentes de colons : ces cités vantées pour leur coexistence entre Juifs et Arabes ont connu le pire – le sentiment d’insécurité suscité par ces événements a d’ailleurs pesé lourd dans le succès de la droite et de l’extrême droite lors des élections législatives de novembre.

Il y a deux ans, les jeunes Palestiniens défiaient donc l’Occupant, mais aussi l’Autorité palestinienne à laquelle, comme la majorité de la population, ils reprochent à la fois sa gestion autoritaire, sa corruption et sa collaboration avec l’armée israélienne. Or Mahmoud Abbas n’a pas organisé d’élections depuis 2006 (...)

Face au soulèvement, l’Autorité palestinienne a préféré les reporter, alors que 93% des électeurs s’étaient inscrits sur les listes pour y participer. Cette décision a renforcé le sentiment d’absence de toute perspective.

Ce n’est donc pas un hasard si, depuis plusieurs mois, les « Lions » de Naplouse ou de Jenine font le coup de feu contre Tsahal, mais aussi à l’occasion contre la police palestinienne. (...)

Une communauté internationale attentiste

Le troisième facteur de l’escalade, c’est l’absence de réaction ferme de la communauté internationale à la politique du nouveau gouvernement.

L’extrême modération avec laquelle les Américains et les Européens et, en conséquence, les Nations unies traitent l’État d’Israël n’est pas nouvelle (...)

Avec sa résolution 242, le 22 novembre 1967, le Conseil de sécurité exigea qu’il s’en retire en échange de la reconnaissance de son droit à l’existence. Non seulement Israël n’obtempéra pas, mais il annexa Jérusalem-Est et en entreprit la colonisation ainsi que celle des autres territoires occupés. Cette entreprise se poursuit 56 ans plus tard, malgré les condamnations répétées du Conseil de sécurité.

Mais jamais le fossé entre les paroles et les actes n’a paru aussi profond qu’aujourd’hui. (...)

Sauf que jamais ces déclarations solennelles ne se sont traduites par des sanctions, ni onusiennes, ni américaines ni européennes. (...)

L’attentisme de la communauté internationale tient aussi à un quatrième et dernier facteur : l’absence d’alternative crédible à la stratégie israélienne. (...)

– Et d’abord en raison de la radicalisation de la politique israélienne. (...)

– Du côté palestinien, la revendication d’un État reste l’horizon de l’Autorité, mais pas celui du Hamas. (...)

– Sur le terrain, on voit de plus en plus mal où passerait la frontière entre les deux États. (...)

– Le déclin de la solution bi-étatique s’accompagne de l’essor de la solution bi-nationale. Mais, si la majorité des jeunes Palestiniens rêve d’un État commun où Juifs et Arabes jouiraient des mêmes droits nationaux et politiques, la majorité des jeunes Israéliens soutient l’occupation et la colonisation, voire l’annexion, quand elle ne milite pas pour une nouvelle Nakba. Même en imaginant un rapprochement progressif, comment déconstruire un système d’apartheid afin de garantir l’égalité des droits ?

Des obstacles au coup d’État

S’il y a donc péril en la demeure, il n’a toutefois rien de fatal : nombre d’obstacles s’opposent à la dérive du gouvernement de Netanyahou et de ses alliés ultra-orthodoxes et suprémacistes, et expliquent son premier recul de lundi :

Le premier vient des Territoires occupés. Le printemps palestinien de 2021, je l’ai rappelé, a prouvé que les Palestiniens ne se laisseraient pas faire (...)

En Israël même, d’énormes manifestations s’opposent à Netanyahou et à ses alliés (...)

Des sondages, dès janvier, laissaient déjà prévoir ces mobilisations (...)

Si nombre d’Israéliens se mobilisent, d’autres votent… avec leurs pieds. Selon notre ambassade à Tel-Aviv, le nombre de demandes de passeports français a « bondi » de 13% en novembre dernier ; d’autres États européens annoncent des chiffres similaires. (...)

La protestation ne s’exprime pas seulement dans la rue. Plus grave pour l’économie israélienne, des investisseurs retirent leur capital pour le déplacer ailleurs dans le monde – et notamment dans le secteur du high tech. (...)

Le troisième obstacle se dresse sur la scène internationale. Netanyahou sait que la radicalisation de sa coalition peut, à terme, faire perdre à Israël une partie de ses acquis diplomatiques de la dernière décennie. (...)

Surtout aux États-Unis, notamment dans la communauté juive. (...)

Si Tel-Aviv devient un obstacle à la stratégie globale de Washington, la présidence ne passera-t-elle pas des paroles aux actes ?

Jusqu’à nouvel ordre, il n’en va pas de même en France. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) – qui ne représente qu’une partie des juifs français, mais prétend parler en leur nom à tous – n’a pour l’instant quasiment pas pris de distances avec le nouveau gouvernement Netanyahou. Nos autorités, tout en réaffirmant rituellement leur hostilité à la colonisation et leur appui à la solution des deux États, n’ont pas pris de sanctions contre l’escalade israélienne en cours. Plus : Paris a été la première capitale à accueillir le Premier ministre israélien après sa réélection. Pis : Smotrich, qui a justifié le « pogrom [34] »de la ville palestinienne d’Huwara, a pu venir à Paris s’adresser à une assemblée de l’extrême droite juive, protégé par nos policiers. Et il aura fallu deux jours au Quai d’Orsay pour condamner comme « inacceptables, irresponsables et indignes » les propos du « gouverneur » de la Cisjordanie « qui nie l’existence du peuple palestinien [35] ». Quel contraste avec son étape new-yorkaise où il fut boycotté par les autorités comme par la communauté juive ! (...)

En attendant, la coalition impose à la Knesset, depuis janvier, l’adoption à marche forcée des lois ou amendements à des législations qu’elle avait annoncés, notamment :

  • Interdiction du drapeau palestinien [37] ;
  • Légalisation d’avant-postes illégaux jusqu’ici selon le droit israélien [38] ;
  • Déchéance de la citoyenneté et expulsion des « terroristes [39] » ;
  • Extension de la peine de mort aux « terroristes [40] » ;
  • Restriction de la possibilité de destitution du Premier ministre par le Procureur général [41] ;
  • Retour au gouvernement du ministre ultra-orthodoxe séfarade Arye Deri, exclu pour corruption [42] ;
  • Autorisation du retour des colons dans les implantations du nord de la Cisjordanie évacuées par Ariel Sharon en 2005 [43] ;
  • Et bien sûr réforme de la nomination des juges de la Cour suprême et suppression du droit de celle-ci de censurer les lois adoptées par la Knesset.

En principe, la Cour suprême conserve son pouvoir de blocage de toutes ces lois, y compris celles qui visent à la rendre elle-même impuissante. Si le gouvernement Netanyahou passait outre son refus, ce serait un véritable coup d’État. Et d’une incroyable brutalité : pour la première fois, Israël, à l’instar des États totalitaires, prétendrait rendre une loi rétroactive. (...)

le major général Tomer Bar, commandant de l’aviation, a informé le Premier ministre qu’il avait reçu des centaines de messages de pilotes de chasse réservistes, colonne vertébrale de la force de dissuasion israélienne, annonçant qu’ils mettraient fin à leur engagement et n’entendaient pas risquer leur vie au service d’une dictature.

De même, le chef d’état-major Herzl Halevi a avisé Netanyahou qu’un nombre croissant d’autres réservistes, y compris dans les forces spéciales et le personnel du Renseignement, ne répondraient pas à l’appel et exprimé sa crainte que la désobéissance se développe dans toute l’armée. (...)

Quant au ministre de la Défense, Yoav Gallant, Netanyahou l’a démis de ses fonctions pour l’avoir appelé publiquement à renoncer à sa réforme de la justice afin de ne pas mettre en danger la sécurité de l’État (...)

Dans tous les pays, et en Israël plus que nulle part ailleurs, les responsables de l’armée et des Services parlent rarement pour ne rien dire… Leur voix a sans doute été déterminante dans le premier recul de Netanyahou [48]. Mais attention : une pause dans la réforme ne signifie pas son retrait. D’autant que, pour amadouer ses alliés suprémacistes, le Premier ministre leur a offert la constitution d’une Garde nationale, autrement dit une milice. À suivre