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The Guardian
J’ai été otage de l’État islamique. Daesh craint plus notre unité que nos frappes aériennes
Nicolas Hénin est l’auteur de Jihad Academy, The Rise of The Islamic State.
Article mis en ligne le 20 novembre 2015

En tant que français et fier de l’être, je suis bouleversé, comme tout le monde, par les événements de Paris. Mais je ne suis ni surpris, ni incrédule. Je connais l’État islamique dont j’ai été l’otage pendant dix mois et j’ai une certitude : notre douleur, notre tristesse, nos espoirs, nos vies ne les touchent pas. Leur monde est à part.

La plupart des gens ne connaissent les djihadistes de l’État islamique qu’à travers leurs documents de propagande. Moi, je les ai vus de l’intérieur. Lorsque j’étais en captivité, j’ai rencontré sans doute une dizaine de djihadistes, y compris Mohammed Emwazi. Jihadi John était l’un de mes geôliers. « Il m’appelait Baldy ».
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Il m’arrive encore maintenant de parler à certains d’entre eux sur les réseaux sociaux, et je peux vous dire que l’idée que vous vous faites d’eux est pour l’essentiel le résultat d’une campagne de marketing et de relations publiques. Ils se présentent comme des super héros. Cependant, hors caméra, ils sont pathétiques à bien des égards. Ce sont des enfants des rues ivres d’idéologie et de pouvoir. En France, nous dirions qu’ils sont – bêtes et méchants. Ils sont sans doute plus bêtes que méchants, même s’il ne faut pas minimiser le potentiel meurtrier de la bêtise.

Tous les otages décapités l’an dernier étaient mes compagnons de cellule. Nos geôliers se jouaient de nous de manière puérile – torture psychologique. Un jour, ils disaient que nous serions libérés, puis quinze jours après, ils nous disaient d’un air joyeux : « Demain, nous vous tuerons » . Les premières fois, nous les avons crus, mais peu à peu, nous avons réalisé que la plupart d’entre eux disaient n’importe quoi, pour s’amuser.

Ils procédaient à des simulacres d’exécution. (...)

J’ai été réellement impressionné par leur niveau de connexion technologique. Ils suivent l’actualité de manière obsessive, mais tout passe au travers de leur propre prisme. Ils sont totalement endoctrinés, s’accrochent à toutes sortes de théories du complot sans jamais en relever les contradictions.

Ils sont convaincus d’être du bon côté. Pour eux, nous sommes dans un processus d’apocalypse qui aboutira à une confrontation entre les musulmans du monde entier et les autres, les croisés, les Romains. Selon eux, tout va dans ce sens. Par conséquent, tout est une bénédiction d’Allah.

Ils vont suivre l’actualité et les réseaux sociaux, à l’affût des répercussions que pourront avoir leurs attaques meurtrières à Paris. Je les imagine, en ce moment même, scander : « Nous sommes en train de gagner ». Ils seront encouragés par tous les signes de réaction excessive, de division, de peur, de racisme, de xénophobie. Ils seront attentifs aux monstruosités qu’ils pourront lire sur les médias sociaux. (...)

je crois qu’ils considèrent mon pays comme le maillon faible de l’Europe, comme un pays où il serait facile de semer la division. C’est pourquoi, lorsqu’on me demande comment nous devons réagir, je dis qu’il faut raison garder.

Or, notre réponse est : encore plus de bombes. Je ne défends pas Daesh. Comment pourrais-je le faire ? Mais je pense que nous commettons là une erreur. Les bombardements vont être considérables, ils seront le symbole d’une colère juste. Moins de 48 heures après les atrocités, des chasseurs ont mené les raids les plus intenses jamais menés en Syrie, lâchant plus de 20 bombes sur Raqqa, le bastion de l’État islamique. Le sentiment de vengeance était sans doute inévitable, mais il nous faut être prudents. Ma crainte est que cette réaction ne fera qu’aggraver la situation.

Alors que nous essayons de détruire l’État islamique, rappelons que 500 000 civils vivent à Raqqa où ils sont pris au piège. Quid de leur sécurité ? Quid de l’éventualité que beaucoup d’entre eux ne rejoignent les rangs des extrémistes, si l’on ne prend pas garde aux conséquences de nos actions ? La priorité doit être de protéger les civils, et pas d’envoyer plus de bombes en Syrie. Il faut mettre en place des zones d’exclusion aérienne fermées aux russes, au régime et à la coalition. Le peuple syrien a besoin de sécurité, ou il se jettera dans les bras de groupes comme celui de l’État islamique. (...)

Le groupe État islamique est diabolique, cela ne fait aucun doute. Mais même après ce que j’ai vécu, je ne pense pas que Daesh soit la priorité. Pour moi, la priorité, c’est Bachar el-Assad. Le président syrien est responsable de la montée de l’État islamique en Syrie. Tant que son régime reste en place, Daesh ne pourra pas être éradiqué. Nous ne pouvons pas plus stopper les attaques dans nos rues. Lorsque les gens disent : « Daesh d’abord, Assad ensuite » , je dis, ne vous méprenez pas. Daesh veut qu’Assad reste en place.
(...)

il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire au lendemain de ces atrocités. Nous devons impérativement rester forts et résilients, puisque c’est ce qu’ils craignent. Je les connais : nos bombardements, ils les attendent. Ce qu’ils craignent, c’est notre unité.