
Qui sont ces jeunes mineurs isolés qui s’entassaient hier à Calais et qui dorment tous les soirs dans les rues de nos villes...
Il y a un an déjà, pour les besoins d’un reportage, je m’étais rendu à Calais, pour aller à la rencontre de ces jeunes mineurs isolés étrangers arrivés en France . Pendant quelques heures, Mhamoud, Jamal et Abdel avaient accepté de me raconter leurs histoires, leurs parcours, d’évoquer leurs projets et leurs espoirs. Merci à tous ceux prendront le temps de les lire.
Assis côte à côte, il écoutent le traducteur Abdul, leur expliquer qui je suis et pourquoi je souhaite les rencontrer, l’un deux prépare du café, ils sont mes hôtes. je sens dans leurs regards un grand vide, ils sont là sans y être, comme s’ils avaient du mal à occuper l’espace et le temps, je les sent désemparés. Pourtant tour à tour ils vont raconter...
Mhamoud :
« ...Mon père était fonctionnaire d’Etat en Afghanistan, il a été assassiné par les Talibans, mais d’autres menaces pesaient sur notre famille, ma mère et mon oncle maternel ont décidé que je devais partir car ils craignaient pour ma vie. Mon oncle a payé le voyage... Quand je suis parti, j’avais 15 ans, j’ai laissé ma mère, mes petits frères et sœurs chez mon oncle, je n’ai plus de nouvelles d’eux depuis 4 mois... ». « Mon voyage a duré cinq mois, j’ai beaucoup marché, je ne savais pas vraiment où j’allais, je n’avais jamais voyagé avant, j’ai voyagé clandestinement. Je suis passé par l’Iran, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Croatie, l’Autriche, la Hongrie puis la France. Je suis arrivé à Nice et là, j’ai suivi un groupe d’Afghans qui partaient à Calais, je ne savais pas où c’était mais je les ai suivis ».
« Au cours de mon voyage, en Iran et en Bulgarie, j’ai eu très peur, j’ai été arrêté et frappé par des policiers, les policiers bulgares m’ont pris tout ce que j’avais, l’argent que mon oncle m’avait donné, mon téléphone avec le numéro pour joindre ma mère, ils m’ont tout pris, ils m’ont frappé avec des bâtons... ». Un silence, les autres écoutent, le regard fixe, eux aussi ils ont eu peur des coups, ils les ont subis, ils ont vécu ces situations, ils ont c.onnu ce sentiment terrible d’impuissance et de terreur face à la violence, incompréhensible, inhumaine, d’un adulte qui frappe un enfant. (...)
Alors voilà, ils sont là, face à moi, étonnés d’être vivants, ils ont « vu la mort dans leurs yeux ». A quoi ressemble la mort pour un enfant de 15 ans, seul au milieu d’inconnus sur une embarcation de fortune au milieu d’une tempête ? Sans doute à ce vide que l’on ressent chez eux, qui les étreint, les enveloppe et me glace. L’effroi a marqué ces garçons d’une trace indélébile qui ne les quittera sûrement jamais, cette conscience si lourde d’avoir échappé à la mort les habite avec tant de force qu’ils ont du mal à être présents à eux-mêmes et aux autres. (...)
« ... Vous vivez ensemble ici, est ce qu’il vous arrive de parlez entre vous de ce que vous avez vécu ? ». « Non », la réponse fuse cette fois. Non ! Ils ne parlent jamais de leurs parcours : « A quoi bon parler des pires moments de notre vie, ca nous rendrait fous ! ». Ils sont comme enfermes dans leur solitude, rompre le silence est inconcevable, mettre des mots sur ces souffrances trop douloureux, presque impossible. Ce qu’ils veulent aujourd’hui, nous dira Jamal, c’est regarder devant eux et lui ce qu’il veut c’est « faire partie de la société française, ne plus être un étranger ! ». Ne plus être rien, personne, redevenir quelqu’un, un être humain pour lui, pour les autres, se reconstruire, retrouver une identité, se projeter enfin dans une existence, avoir une vie. (...)
Ils ont l’impression de ne rien connaitre, alors ils veulent apprendre, apprendre le français, faire des études, devenir ingénieur en génie civil, travailler dans les jardins... Abdel, lui, il a son projet en tête, il y croit, et il tient à me le dire, il l’a conçu au cours de son voyage, c’est ce qui l’a aidé à tenir : « Je veux créer une association humanitaire, je veux faire ce que certain ont fait pour moi, sauver des vies, que personne, jamais, ne vive ce qu’on a vécu ! » (...)