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« J’étais cette statistique embarrassante... » – À propos du chômage
/ jimmy.behague Responsable national Génération-s délégué au handicap et à l’inclusion et président de la Neurodiversité-France
Article mis en ligne le 8 avril 2022

Alors qu’on soumet une activité de 15 à 20 heures comme condition d’accès au RSA, il est temps de rappeler – par ce texte écrit il y a longtemps – ce que c’est d’être au chômage. J’ai appris que c’est un métier à plein temps d’être chômeur. J’ai appris que c’est une expérience psychologique si traumatisante qu’elle vous laisse un sentiment que vous n’oubliez jamais. À l’attention de nos décideurs, qui en ignorent tout.

Quand j’étais étudiant, je croyais tout connaître sur le chômage. J’avais tout lu, j’avais écouté des témoignages et analysé toutes les mesures économiques prises. Je pensais avoir compris les structures qui généraient le chômage, les difficultés systémiques, les reproductions d’inégalités sociales. Voulant faire carrière dans les ressources humaines, je me disais alors que pour comprendre l’emploi il fallait aussi comprendre le chômage. Théoriquement, j’étais un spécialiste.

Dans le même temps, j’avais rédigé un mémoire sur la hiérarchie en entreprise, et un autre sur la notion de profil en recrutement. Les solutions me paraissaient multiples et j’avais hâte de pouvoir aider à résoudre ce problème et permettre à des personnes d’être enfin sorties de cette galère.

Et suite à un décès qui m’affecta profondément, je fus également au chômage. Un monde que je croyais connaître, du moins dont j’avais exploré les règles et les perspectives peu réjouissantes, s’ouvrait à moi, avec un avenir sombre, et des abîmes de doute et de questionnement.

Le mot « abîme » n’est pas exagéré, car l’on ressort abîmé de ce genre d’épreuve.

A ce moment là, je compris des choses qu’on ne peut expliquer, des événements qui affectent votre vision du monde. (...)

quelqu’un dont l’existence n’était plus prouvée par un statut social si ce n’est l’étiquette honteuse de parasite potentiel ou d’assisté. Une étiquette fausse mais dont vous arrivez à vous convaincre de la pertinence tant cela vous est sous entendu, et tant le murmure moqueur et condamnatoire, ce murmure insidieux devient un hurlement impérieux. (...)

Je faisais et refaisais mon CV suivant les conseils de chaque personne docte que je pouvais croiser sur mon chemin et elles étaient peu nombreuses. J’allai aux convocations du pôle emploi qui me décrivait alors comme une anomalie du système, puis comme quelqu’un de trop diplômé pour accéder à une formation. J’étais cette statistique bien embarrassante, cette donnée chiffrée qu’il fallait caser dans une catégorie en lui reprochant de ne pas être assez stéréotypée pour m’y intégrer de moi-même. (...)

J’appris que c’est un métier à plein temps d’être chômeur, avec près de 6000 candidatures déposées, un CV refait une cinquantaine de fois, des entretiens dignes de montagnes russes émotionnelles où l’apogée de l’espoir laisse place au paroxysme du désespoir et du doute.

J’appris que c’est une expérience psychologique si traumatisante qu’elle vous laisse un sentiment que vous n’oubliez jamais, qu’elle vous laisse aussi un souvenir délicat, celui du regard changé d’autrui quand plus rien ne va, quand chacun ne détourne pas le regard en vous voyant, pour redevenir un marqueur significatif d’intérêt quand les choses au sein de votre vie s’arrangent sensiblement. Et cette solitude éprouvante, cette solitude qui laisse votre foyer dans une agonie lente et isolée. Celle qui me fit jurer d’aider les personnes en recherche d’emploi quand je le pouvais et ce bénévolement, sans intérêt, juste pour éviter à certaines personnes de vivre cette marginalisation que j’éprouvai par le passé.

Pourquoi ce sujet ? Pourquoi maintenant alors que mon emploi est pérenne depuis 2017 ?

Parce qu’une crise sociale historique s’annonce. Une crise sociale où des millions de chômeurs vont s’ajouter à ceux qui vivaient déjà ce drame. Une crise qui va produire du chaos pour des familles entières, du doute, de la peur, et du désespoir. Il est impossible de le nier, ou de l’ignorer. Il est désormais également impossible de faire comme si. Faire comme si ce n’était pas traumatisant ou difficile. (...)

Il convient d’ores et déjà de réfléchir pour se préparer à aider le plus possible, chacun avec ses moyens, ses possibilités, en trouvant des solutions au plus de problématiques possibles. C’est à la gauche et aux écologistes que revient cette tâche, car elle seule possède en son sein le devoir éthique de questionner les systèmes qui nous déterminent, qui nous contraignent, et ce questionnement est une condition nécessaire pour pouvoir imaginer des projets pertinents dans le but de résoudre la crise que nous allons vivre.

Si le principe du chômage ne peut être résolu dans le système que l’on connait alors changeons de système et ne faisons plus de l’emploi la source de subsistance incontournable, quand la simple activité doit être reconnue, ne faisons pas du salaire le seul revenu quand nous savons que tout le monde n’aura pas le job assurant sa survie, et offrons des conditions permettant à chaque personne de vivre dignement. Toute société ne respectant pas cette notion fondamentale devient caduque. (...)

Toute formation politique renforçant cette culpabilisation, proposant des choses totalement contraires à l’humanisme et la solidarité doit être combattue.