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Jacques Testart : « Demain, il n’y aura plus de limite au tri génétique pour arriver à un homme compétitif, "sur mesure" »
Article mis en ligne le 22 mars 2014
dernière modification le 19 mars 2014

Tests génétiques, sélection des embryons, multiplication des fécondations in vitro : jusqu’où ira la médicalisation de la procréation ? Avec la sélection des profils génétiques, « nous finirons par orienter l’espèce humaine en fonction d’impératifs économiques », prévient Jacques Testart, biologiste et « père » du premier bébé éprouvette. Dans son ouvrage Faire des enfants demain, le chercheur alerte sur les risques d’eugénisme qu’amènent ces démarches. Entretien.

Une grande partie de ces FIV est justifiée : de plus en plus de gens ont du mal à faire des bébés tout seuls. La qualité du sperme ne cesse de baisser ces dernières années, en partie en raison de causes environnementales. On ne peut pas évaluer la qualité des ovules aussi facilement que celle du sperme, mais elle a sans doute aussi subi des incidences – l’âge moyen des femmes à la procréation augmente ce qui explique également des difficultés. Mais au moins un quart des FIV sont effectuées pour raison idiopathique, c’est-à-dire sans cause apparente de stérilité. Il s’agit donc d’un abus assez clair. Si on attendait trois ans, beaucoup de ces gens auraient probablement pu faire un enfant tous seuls. Il s’agit d’une question de rentabilité – il faut amortir les coûts des Centres d’Assistance médicale à la procréation (AMP) – mais aussi d’une question sociétale (impatience des parents, attitude « consommatrice »,…)

On médicalise de plus en plus la procréation, mais les actions sur les questions environnementales susceptibles de provoquer ces problèmes se fait attendre. La stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens a six mois de retard par exemple… (...)

L’eugénisme est une « pulsion » historique pour améliorer la qualité des enfants de l’espèce humaine. Quand je parle du diagnostic pré-implantatoire comme vecteur d’eugénisme, je ne parle pas d’un eugénisme imposé par l’État et violent, comme il a pu l’être au début du XXème siècle aux États-Unis ou en Allemagne. Mais d’un eugénisme souhaité par les gens eux-mêmes, afin d’avoir une certaine garantie de la « qualité » du bébé. Certes, il y a déjà eu des tentations eugéniques auparavant. Et actuellement existe l’interruption médicale de grossesse (IMG), qui vise à interrompre une grossesse en cas de handicap du fœtus par exemple. Mais dans l’IMG, il y a le garde fou de la souffrance de l’avortement. Alors que le tri embryonnaire est une révolution : c’est la première fois qu’on peut choisir l’enfant de façon indolore par sélection au sein d’une population d’embryons ! On choisira juste de transférer un embryon « sain » dans l’utérus de la femme plutôt que les autres.

On ne peut plus nier son potentiel eugénique avec l’élimination d’embryons porteurs de handicaps aussi légers que le strabisme, en Angleterre. Ou de probabilités pathologiques plutôt que de certitudes, en France [2]. Aux États-Unis, certaines cliniques proposent même de sélectionner le sexe et la couleur des yeux des bébés ! Dans les années 80, quand j’annonçais cette perspective de bébé sur mesure, les gens étaient horrifiés. Maintenant quand je le dénonce, je me fais engueuler. (...)

L’État finira par proposer un screening (dépistage) à tout le monde, comme pour la trisomie 21 (l’État a d’ailleurs choisi de concentrer ses efforts financiers sur le test de dépistage de la trisomie plutôt que sur la recherche concernant la maladie, ndlr). Car c’est plus intéressant économiquement de financer le dépistage de personnes « à risque » que de payer des frais de santé durant toute une vie. Mais ce screening couvrira la plupart des maladies et même les facteurs génétiques de risque pour ces maladies, dont nul n’est indemne. (...)

Il apparaît possible de transformer des cellules de peau en ovules et donc d’obtenir des embryons innombrables parmi lesquels on pourra choisir le « meilleur ». Il se passe actuellement dans la science des choses incroyables. On attendra peut-être dix, vingt ou trente ans mais il faut s’y attendre : on arrivera à une production d’ovules à grande échelle. Et quand on aura cette production, il n’y aura plus de limite au tri génétique. (...)

Oui, on va arriver à un homme compétitif, « sur mesure », au moins à des actions généralisées dans ce but. En sélectionnant, génération après génération, certains profils génétiques, nous finirons par orienter l’espèce en fonction d’impératifs économiques (efficacité, compétitivité, état de santé…). Cela se fera sans violence et même, sauf sursaut éthique, à la demande des populations. (...)

Le diagnostic pré-implantatoire permet potentiellement d’avoir un tableau complet des facteurs de risque de tout individu. Puisque le bébé parfait n’existera jamais, on pourrait corréler toutes ces données génétiques avec nos modes de vie et faire des préventions d’accidents ou de maladies en fonction de probabilités, nous conseiller d’adopter un mode de vie adapté à notre génome. Au risque de se passer d’une vraie politique sociale de santé. Je suis inquiet par exemple du nombre de femmes qui choisissent de se faire enlever les seins pour une simple prédisposition de risque de cancer du sein. Il y a une confiance absolue dans le génome : à partir du moment où c’est inscrit dans les gênes, les gens tiennent cela pour une certitude alors que ce n’est pas le cas ! Quand aux assurances, elles rêvent de ce genre de choses ! Elles pourraient établir des assurances à la carte, en fonction des risques et pénaliser leurs clients s’ils ne font pas ce que les médecins préconisent [3]. (...)

J’estime que l’assistance médicale à la procréation doit échapper au marché et aux médecins. En refusant la médicalisation de l’acte, on se retrouverait dans une société où tous les géniteurs, les personnes ayant contribué à la naissance de l’enfant, comme les mères porteuses ou les donneurs de sperme, apparaitraient dans l’état civil de l’enfant. Il y aurait plus de transparence, évitant ainsi des perturbations chez l’enfant. On entrerait dans un autre type de relations, c’est ce que j’appelle l’aide conviviale à la procréation. (...)

Et la place des citoyens dans tout ça ? Comment peuvent-ils se réapproprier une place dans le processus de décision ?

Des conférences de citoyens, bien formés, connaissant le cœur du problème, pourraient offrir un véritable renouveau démocratique au delà de la bioéthique hexagonale. Au sein de Fondation Sciences citoyennes, nous militons pour cela depuis des années.