
La réforme de l’Assurance-chômage entre en vigueur ce 1er novembre. 1,3 million de demandeurs d’emploi, dont les plus précaires, verront leurs indemnités baisser dans l’année qui vient. Basta ! a rencontré des agents de Pôle emploi qui décryptent le nouveau système et ses conséquences.
C’est une véritable machine à fabriquer de la pauvreté qui va se mettre en branle à partir du 1er novembre. Même les agents du Pôle emploi en prennent le vertige. « Je n’ai jamais vu ça, un tel durcissement, aussi violent, lâche Aurélie, agente dans l’ouest de la France depuis dix ans. On touche les gens au portefeuille, on ne leur laisse plus de solutions. » L’objectif annoncé de la réforme : économiser 3,4 milliards d’ici fin 2021. Tout en mettant au passage un énorme coup de pression sur les demandeurs d’emploi, une nouvelle fois rendus responsables de leur situation.
Ces économies drastiques seront entièrement financées par les demandeurs, et plus particulièrement par les plus précaires d’entre eux – en intérim ou en CDD. La première étape démarre ce 1er novembre, avec un durcissement des conditions qui permettent d’ouvrir ses droits à l’assurance-chômage. La seconde débutera le 1er avril 2020, avec une chute brutale du montant des indemnisations.
Au total, la moitié des personnes indemnisées – principalement celles qui n’ont pas pu travailler à temps plein pendant au moins un an – verront leurs droits réduits, voire supprimés. Soit 1,3 million de personnes parmi les 2,7 millions qui bénéficient actuellement d’une indemnisation – sur, au total, 6 millions de personnes inscrites au Pôle emploi. (...)
Les conditions du « rechargement », qui permet de préserver ses droits si l’on travaille en parallèle de sa période d’indemnisation, sont également durcies. Quand un demandeur d’emploi retrouve du travail, ses allocations chômage sont suspendues. Mais si la personne se retrouve ensuite au chômage, elles lui sont de nouveau versées. Exemple ? Une personne est indemnisée de janvier à juin. Si elle travaille tout le mois de mai, elle voit ses droits prolonger jusqu’à la fin du mois de juillet.
« Jusqu’alors, le fait de travailler lui donnait aussi la possibilité de prolonger, ou de recharger, ses droits », explique Catherine, conseillère indemnisation. Un mois travaillé suffisait à recharger ses droits d’autant. « Mais ça, c’est terminé, prévient Catherine. Il faudra désormais un minimum de six mois travaillés pour ouvrir de nouveaux droits. Il s’agit en fait d’une quasi-suppression du droit rechargeable. »
Selon l’Unédic, les changements des conditions d’affiliation et du droit au rechargement toucheront environ 710 000 personnes entre novembre 2019 et octobre 2020 [1]. Ceux et celles qui cumulent successivement de courtes périodes de travail seront plus impactés que les autres, puisque peinant davantage à réunir le nombre de jours de travail nécessaires.
Le mode de calcul des indemnités journalières sévèrement durci (...)
CDD, intérimaires, mi-temps thérapeutique... les plus fragiles seront en première ligne
« Si une personne est en mi-temps thérapeutique, c’est pareil, ajoute Catherine. On calcule sur la base du salaire payé. Donc sur un demi-salaire. Le gouvernement se défend en avançant que la durée d’indemnisation sera plus longue et que, par conséquent, les droits seront constants. Mais qu’importe ? Si vous n’avez pas assez pour vivre, que cela dure 6 mois ou 12 mois, le problème reste le même ! »
Celles et ceux qui subissent les méandres du travail précaire, comme les intérimaires et les personnes qui enchaînent les CDD en attente d’un contrat plus stable, seront les plus touchés, avertissent syndicats et agents de Pôle emploi. Même le très mesuré secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, évoque une « tuerie ». (...)
Un milliard d’économie sur le dos des plus précaires (...)
« Les personnes précaires seront orientées vers les emplois pénibles et mal payés »
D’ailleurs, Pôle emploi prévoit d’embaucher... un millier de CDD pour, selon les syndicalistes, orienter ces chômeurs mal indemnisés vers les « annonces non pourvues de plus de 30 jours », souvent constituées d’emplois pénibles et mal payés. « Nous pensons qu’à terme, les personnes précaires seront orientées vers ces annonces, dit Daniel. Ils auront des indemnités ridicules, voire pas d’indemnités du tout et on va pouvoir leur dire : "Ça tombe bien on a des postes difficiles à pourvoir !" Ce sont les fameux emplois à déficit d’image. » (...)
Face à ces pressions visant à faire accepter n’importe quel contrat, les demandeurs d’emploi ne seront pas égaux. « Il y a ceux qui pourront se permettre de refuser les annonces trop pourries, parce qu’ils ont un bagage intellectuel, des relations, qu’ils connaissent leurs droits, ont confiance en eux… et les autres, appréhende Gisèle. Ceux et celles qui ne sauront pas se défendre face à Pôle emploi. Est-ce cela que nous voulons ? Que les gens aient à se défendre contre Pôle emploi ? Est-ce juste ? »