
Sept prévenus, dont d’anciens dirigeants de l’entreprise, comparaissent à partir de lundi devant le tribunal correctionnel de Paris à la suite de la vague de suicides de salariés entre 2007 et 2010.
Au siège de France Télécom, dans le 15e arrondissement à Paris, le comité exécutif est réuni. Les derniers chiffres du trafic des lignes téléphoniques fixes viennent de lui être transmis. Autour de la table, on veut croire à une erreur. Un effondrement pareil, c’est impossible. On vérifie. « Les chiffres étaient malheureusement justes », se souvient Louis-Pierre Wenes, alors président d’Orange France et numéro 2 de France Télécom.
C’était à l’automne 2006. Pendant l’été, le trafic de la voix sur Internet avait explosé. (...)
Sur tout le territoire, la guerre s’intensifiait à coups d’innovations technologiques et de baisse des tarifs. La dette de France Télécom s’était envolée, son chiffre d’affaires et ses marges avaient plongé.
Ce contexte économique est le cœur de la défense des sept prévenus qui comparaissent à compter du lundi 6 mai devant le tribunal correctionnel de Paris pour répondre de « harcèlement moral » ou de complicité de ce délit, en leur qualité d’anciens membres de la direction de France Télécom. (...)
Parmi eux, l’ancien PDG, Didier Lombard, son directeur exécutif, Louis-Pierre Wenes, et le directeur groupe des ressources humaines, Olivier Barberot, poursuivis en tant qu’auteurs principaux d’une stratégie d’entreprise « visant à déstabiliser les salariés et agents, à créer un climat professionnel anxiogène » et ayant eu « pour objet et pour effet une dégradation des conditions de Travail (...)
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C’est la première fois qu’une entreprise du CAC 40 est jugée pour « harcèlement moral » : dix ans après la vague de suicides à France Télécom, le procès de ses ex-dirigeants, dont son ancien patron Didier Lombard, démarre lundi devant le tribunal correctionnel de Paris.
La souffrance au travail, dont France Télécom était devenue le symbole à la fin des années 2000, sera au coeur de ce procès fleuve prévu pour durer jusqu’au 12 juillet.
En 2008 et 2009, 35 salariés se sont donné la mort, pour certains sur leur lieu de travail. Mais au-delà de ces suicides qui avaient choqué l’opinion publique, le tribunal s’intéressera au fonctionnement de France Télécom entre 2007 et 2010. C’est le dossier « d’un harcèlement moral organisé à l’échelle d’une entreprise par ses dirigeants », résument les juges d’instruction dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal, consultée par l’AFP. (...)
Les prévenus ne seront pas jugés pour leurs choix stratégiques, mais pour leurs méthodes. Dans la première plainte déposée, le syndicat SUD parlait en 2009 d’une « gestion d’une extraordinaire brutalité ».
En 2006, dans un discours devant les cadres, Didier Lombard donnait le ton : « Je ferai les départs d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte ». Le DRH lançait lui le « crash program ».
Les juges d’instruction ont détaillé « les dispositifs de déstabilisation des personnels », retenant notamment des « contrôles excessifs », « la marginalisation » des salariés, « les réorganisations multiples » etc.
Pour Sylvie Topaloff, avocate du syndicat SUD, « toute personne qui a travaillé dans ces années là à France Télécom a subi un préjudice moral ». « Nous avons vécu à cette époque-là une violence incroyable », a renchéri lors d’une conférence de presse Patrick Ackermann, représentant du syndicat.
« Coup de fusil »
Les magistrats ont retenu les cas de trente-neuf salariés : dix-neuf se sont suicidés, douze ont tenté de le faire, et huit ont subi un épisode de dépression ou un arrêt de travail.
Parmi ces parties civiles, Yves Minguy, ancien cadre informatique, a raconté à l’AFP son propre parcours, de la dissolution de son équipe d’une vingtaine de personnes à sa mise à l’écart, où pendant six mois, il n’a rien eu à faire. Ensuite, alors qu’il avait retrouvé un service, on lui a demandé « sans crier gare » de poser ses affaires et d’aller sur un plateau « répondre au téléphone ».
Après ce « coup de fusil », il a sombré dans la dépression et dix ans après, il est toujours « incapable » de retourner dans un bâtiment de l’entreprise. Avec ce procès, il espère que ses anciens patrons reconnaîtront « une erreur ». (...)
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