
Parwana Amiri, jeune réfugiée afghane, avait 15 ans quand elle a commencé à écrire sous forme de lettres la vie dans le camp de Moria, où elle est arrivée en 2019, puis dans celui de Ritsona, au nord d’Athènes, qui fait l’objet de ce recueil. La jeune fille a aujourd’hui 18 ans et poursuit un vibrant plaidoyer pour les droits des réfugiés, comme dans l’extrait que nous publions ici avec l’aimable autorisation de l’éditeur.
Au monde des politiciens — une lettre en attente de réponse
Je m’appelle Parwana Amiri. En ce moment, j’habite au camp de Ritsona avec trois mille autres personnes, dont des centaines de jeunes filles comme moi. Je vous écris non parce que je vous fais confiance ou que je crois en vous, mais parce que je dois donner une voix aux nombreuses personnes autour de moi qui continuent à espérer en vous (...)
Pouvez-vous comprendre ce dont je parle ? Nous sommes ici, des milliers de personnes blessées, sommées de prouver notre vulnérabilité. Pourtant personne ne nous voit vraiment, personne ne nous écoute vraiment, personne n’essaie vraiment de comprendre nos blessures, encore moins de les guérir.
N’avez-vous jamais écrit une lettre puis attendu une réponse ? Peu importe ce dont parle la lettre. Vous écrivez et vous vous attendez à une réponse ; une simple réponse ferait l’affaire. Nous aussi, nous attendons une réponse aux lettres que nous vous adressons. (...)
Je vis dans un no man’s land, déterminée à écouter et à recueillir des milliers de récits de vie chaque jour. Pendant ce temps, la seule chose que vous êtes prêts à faire est de voter des lois toujours plus restrictives à notre égard, des lois basées sur la connaissance la plus limitée qu’il soit de nous, acquise à travers les plus courtes et les plus superficielles rencontres qu’il soit. Vous écrivez ces lois avec un stylo, mais nous les sentons sur notre peau, dans nos os et dans notre âme, chaque jour et chaque nuit ! (...)
Je vous écris depuis une maison à l’intérieur du camp en regardant par la fenêtre le mur qui nous entoure. Des enfants jouent dehors et je suis certaine qu’aucun d’entre vous ni personne d’autre n’accepterait de telles conditions pour ses propres enfants. (...)
Je n’ai jamais imaginé qu’en Europe, des gens soient confinés et enfermés parce qu’ils sont menacés de l’extérieur et parce que l’emprisonnement leur apporte la sécurité — une sécurité qu’ils n’auront jamais vraiment. Même la police ne vient pas dans cette prison. (...)
Que faites-vous de ces gens jetés aux marges de la capitale, ces gens que vous ne visitez même pas une fois par mois, à qui vous ne parlez même pas une fois par saison, voire même pas une fois par an — ce qui fait partie des droits sur lesquels même les criminels emprisonnés peuvent compter ?
Je souffre immensément de cet emprisonnement. Et je me bats pour aller à l’école, pour apprendre, pour grandir, toujours dans la crainte de ce que les autres vont penser de moi, de ma vie… (...)
Ritsona est un reflet de ce système carcéral qui fait partie du complexe industriel, enraciné dans l’esclavage, le colonialisme et le capitalisme raciste. L’argent dépensé dans le mur est celui des citoyens. C’est l’argent pour le développement de l’Europe. Il ne devrait pas être dépensé pour maintenir de vieux systèmes de domination oppressive. Au lieu de cela, il devrait être investi dans l’amélioration de la qualité de vie de la société européenne tout entière de sorte que chaque être humain puisse prospérer. (...)
Nous questionnons le monde pour comprendre les manières complexes dont race, classe, nation et aptitude s’entremêlent et comment nous pouvons, en saisissant cette complexité et uniquement de cette manière, trouver les moyens de dépasser ces catégories clivantes, de comprendre l’interrelation des idées et des processus qui se présentent séparément et sans rapports les uns avec les autres et ensemble, combattre pour notre bien commun. D’une montagne de force et portée par une vague d’énergie, moi, Parwana Amiri.
Juillet 2021.