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Jean-Christophe Picard, président d’Anticor : "il faut des mécanismes qui obligent les élus à être honnêtes"
Fondée en 2002, l’association Anticor s’est donné pour mission d’alerter la population sur les actes de corruption. Interview avec Jean-Christophe Picard, son président.
Article mis en ligne le 16 mars 2017

Alertée par les zones d’ombre flagrantes laissées par la déclaration de patrimoine d’Emmanuel Macron, l’association anticorruption Anticor, cofondée en 2002 par le juge Halphen, a saisi la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Une manière de tenter de lever le voile sur les habitudes d’une classe politique qui, malgré les récentes avancées législatives, reste l’une des plus opaques d’Europe. Emplois familiaux, fraude fiscale, réserve parlementaire, affaire Fillon, nous avons échangé quelques mots avec Jean-Christophe Picard, président d’Anticor, pour tenter de mieux cerner les grands enjeux de la corruption en France.

Konbini | Que reprochez-vous à Emmanuel Macron ?

Jean-Christophe Picard | On ne lui reproche rien, on demande simplement des explications sur la déclaration de patrimoine qu’il a déposée et qui ne nous semble pas cohérente. On souhaiterait juste avoir des précisions, pour l’instant on n’affirme rien du tout. En l’état, ses déclarations interpellent, (...)

Nous sommes une association agréée, il n’y en a que quatre qui le sont en France pour saisir la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Nous utilisons donc notre prérogative pour saisir la Haute Autorité, afin qu’elle même demande les explications et documents nécessaires, puisqu’elle a ce pouvoir, tout simplement pour éclaircir les zones d’ombre. On souhaite surtout connaître la suite de cette éventuelle demande : aujourd’hui, on ne sait rien du tout, on lit dans la presse qu’il y aurait eu des contrôles mais j’aimerais bien que ce soit la HATVP qui le dise. Quelles suites pour ces contrôles ? (...)

Quelles pourraient être les suites ?

Comme on est agréé, on imagine qu’on aura une réponse détaillée de la HATVP. Est-ce qu’elle a effectué un contrôle ? Si oui, a-t-elle obtenu les explications nécessaires et est-ce que ces explications lui conviennent ? Si ce n’est pas le cas, a-t-elle saisi l’administration fiscale, le parquet ? On voudrait un pas supplémentaire dans la transparence. La mise en ligne de déclarations, c’est bien, c’est un progrès ; mais il faut qu’on aille un peu plus loin et qu’on connaisse les suites qu’on réserve à ces déclarations.

Les élections approchent et il se trouve que M. Macron est candidat. Il nous semble normal qu’avant les élections les citoyens aient le maximum d’informations, en bien comme en mal. Ces déclarations de patrimoine suscitent des questionnements… qu’on y réponde, une bonne fois pour toutes ! (...)

On a une Haute Autorité qui a ce pouvoir-là, on souhaite qu’elle l’utilise. On ne demande pas qu’elle communique sur des éléments confidentiels, mais qu’elle nous confirme qu’à la lecture de ces éléments la déclaration de patrimoine est complète, exacte. (...)

Il y a des progrès, c’est indéniable. Le PNF est une réussite, la possibilité pour les associations comme Anticor d’être agréées pour se constituer partie civile dans un procès est aussi un énorme progrès. Anticor a bataillé pendant des années pour être recevable. Dans l’affaire des sondages de l’Élysée on s’est battus pendant trois ans pour être recevables. Depuis 2015 et l’agrément que l’on a reçu du ministère de la Justice, nous le sommes sur toutes les affaires de corruption. Ça change tout, évidemment.

Avec la loi Sapin, il y a un progrès sur le statut des lanceurs d’alerte… Il y a donc des avancées, mais absolument pas à la hauteur de la situation actuelle. (...)

Nous avons mis en ligne une charte éthique avec 10 propositions. Il ne suffit pas de dire qu’il faut élire des gens honnêtes, il faut mettre en place des mécanismes qui obligent les élus à être honnêtes, parce qu’on a une confiance limitée sur l’honnêteté des uns et des autres. On préfère qu’il y ait des garanties, des garde-fous (...)

Ça passe aussi par la suppression de toute une série de privilèges complètement anachroniques, comme la Cour de justice de la République ou l’inviolabilité des parlementaires et du président pour les actes commis en dehors de leurs fonctions. Je ne parle même pas du statut des anciens présidents, qui leur autorise une ribambelle de collaborateurs, des voitures de fonction, etc.

On a vraiment de quoi dépoussiérer notre réglementation et s’inspirer un peu plus de ce qui se fait en Scandinavie, où il y a une très forte transparence. Et comme par hasard, dans les pays où il y a une très forte transparence, la corruption est faible : étonnant, non ? (...)

Quels sont les blocages qu’on rencontre en France ?

Beaucoup d’élus ont pris des mauvaises habitudes et n’ont pas envie qu’on revienne dessus. Regardez le système des emplois familiaux, une spécificité française qui avait choqué l’Europe au point qu’ils ont été interdits dans les institutions européennes. Beaucoup d’élus considèrent que c’est normal, qu’embaucher sa femme est normal, ils sont d’ailleurs étonnés que ça nous choque ! On a donc des élus un petit peu hors sol, qui ne comprennent pas pourquoi ça ne pourrait pas continuer comme ça.

Et puis, il faut reconnaître qu’aujourd’hui ce n’est pas une revendication des électeurs. Ils sont de temps en temps choqués par telle ou telle affaire, mais on est loin de la Roumanie où des millions de personnes font retirer des projets de loi qui portent atteinte à la lutte contre la corruption. (...)
Il y a une sorte de prime à l’opacité. Un délit bien caché sera prescrit au bout de douze ans, même si personne ne le découvre, ce qui est bien évidemment très souvent le cas. L’affaire Fillon en est un exemple type, elle n’aurait jamais existé avec cette réglementation.

Pourtant, les gens ne sont pas descendus dans la rue pour protester contre cette loi. Les gens ne font pas encore le lien entre les impôts qu’ils payent, la baisse de la qualité des services publics, la baisse de la qualité des prestations sociales qu’ils reçoivent, et la corruption et la fraude fiscale. Ce lien est pourtant compris partout dans le monde. Dans tous les pays où les gens ont commencé à protester (Printemps arabe, émeutes en Grèce…), l’une des revendications principales était la lutte contre la corruption. (...)

Notre charte, nous ne la proposons pas aux candidats mais aux électeurs. Tant qu’ils ne considèreront pas que c’est important, les candidats feront de même. En revanche, si demain on a 500 000 personnes qui disent "nous, c’est ce qu’on veut et si on ne l’a pas on ne vote pas pour vous", ça va devenir incontournable. (...)

lutter contre la corruption a un coût très faible, mine de rien. La transparence des documents, leur mise en ligne, former des agents, ça ne coûte quasiment rien. Idem lorsqu’il s’agit d’interdire aux lobbyistes de se promener dans le Parlement, parce que c’est le cas aujourd’hui : les gens ne s’en rendent pas compte, mais alors que nos députés vont voter des lois, ils vont croiser toute la journée des lobbyistes qui leur payent des restos et leur font des petits cadeaux. C’est hallucinant. Et tout ça est autorisé.