Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Jeunes et vieux : la guerre des générations n’aura pas lieu
Article mis en ligne le 18 décembre 2019

Les jeunes en guerre contre les vieux ? La « clause du grand-père », intégrée à la réforme des retraites par le gouvernement d’Édouard Philippe et qui en minimise les conséquences sur les générations nées avant 1975, a jeté de l’huile sur le feu. Un mois plus tôt, en novembre 2019, la députée écologiste néo-zélandaise Chlöe Swarbrick, 25 ans, répliquait « OK boomer » à un parlementaire plus âgé qui cherchait à la déstabiliser alors qu’elle intervenait sur l’urgence climatique. La formule, qui tourne en dérision des propos ou des comportements perçus comme condescendants ou « ringards » de la part de personnes âgées est devenue virale.

Nés entre 1946 et 1964, les « baby-boomers » sont pointés du doigt pour avoir connu plein emploi, progrès de tous ordres, mobilité sociale ascendante et insouciance face aux changements climatiques et environnementaux. Les « millenials » nés entre 1980 et la fin des années 1990 seraient, au contraire, confrontés à plus de chômage, plus de précarité et à l’éco-anxiété. Ces inégalités intergénérationnelles continueraient de se creuser. Qu’en est-il vraiment ? Reporterre a mené l’enquête.

À première vue, les conditions pour une guerre des générations sont réunies. (...)

« Cette réforme consacre un égoïsme générationnel qui va creuser encore plus les fractures de la société »

Camille Peugny, sociologue à l’Université Versailles-Saint-Quentin, dénonce une « extraordinaire injustice générationnelle » et rappele que les Français nés après 1975 ont « trouvé sur leur chemin un taux de chômage des jeunes actifs systématiquement deux à trois fois plus élevé que pour le reste de la population. Lorsqu’ils ont trouvé un emploi, ce dernier est de plus en plus souvent précaire ». Le système de retraites par points prévu par le gouvernement, contrairement au système actuel, prendra en compte l’intégralité de la carrière d’un individu, et non ses 25 meilleures années — pour les salariés — ou les six derniers mois — pour les fonctionnaires. Le nouveau système sera donc défavorable aux travailleurs nés après 1975, aux parcours professionnels souvent plus chaotiques que ceux de leurs aînés. « Cette réforme des retraites consacre un égoïsme générationnel qui va creuser encore plus les fractures de la société française », conclut Camille Peugny. (...)

Ces propos résonnent avec les travaux de Louis Chauvel, qui a étudié les inégalités intergénérationnelles dans son ouvrage Le destin des générations (éd. Presses universitaires de France, 2010). Le sociologue a montré que la date de naissance était susceptible d’avoir une influence significative sur la vie des individus partageant « un destin de génération » : selon que l’on cherchait à accéder au marché du travail à la fin des années 1960 ou au milieu des années 1990, on avait toutes les chances d’accéder à un marché du travail extrêmement porteur dans un cas, très fermé dans l’autre. Les générations nées jusqu’en 1950, qui ont connu les Trente Glorieuses au temps de leur jeunesse, ont ainsi rencontré « un destin collectif inespéré » : multiplication des diplômes sans dévalorisation, forte mobilité sociale ascendante, salaires et revenus rapidement croissants, meilleure protection sociale.

À ces inégalités socio-économiques entre les générations s’ajoutent l’urbanisation effrénée des terres, l’emballement des émissions de gaz à effet de serre, l’épuisement des ressources terrestres sacrifiées sur l’autel du « progrès » ou de la « modernité ». (...)

Les baby-boomers sont-ils pour autant un groupe monolithique de privilégiés destructeurs ? La réalité est plus complexe. Déjà, parce que les Trente Glorieuses (1947-1975) sont une période contrastée. (...)

Les mêmes nuances sont à apporter en ce qui concerne l’héritage environnemental des Trente Glorieuses. Là encore, tous les baby-boomers ne sont pas à mettre dans le même panier. (...)

En outre, nombreux sont celles et ceux à avoir combattu le modèle de progrès porté par les Trente Glorieuses et dénoncé le désastre écologique en cours. (...)

De nombreuses luttes ont été menées ces années-là par les baby-boomers : sur le Larzac, contre l’industrie nucléaire, les barrages sur l’Allier et la Loire… Certaines ont été remportées, mais elles ont été en grande partie perdues et oubliées. Cela montre bien en tout cas que dans ces générations, il n’y a pas que des gens qui ont liquidé la planète et nos retraites. »
« La prise de conscience de la crise climatique a touché toutes les générations en même temps »

Aujourd’hui, l’âge des baby-boomers ne les protège pas de l’angoisse du changement climatique. (...)

. Les vieux l’ont intégré d’autant plus qu’ils ont aussi dans leur chair les souvenirs des printemps d’avant. Et les effets du changement climatique vont aussi les percuter. » « Ils vont aussi vivre les conséquences du réchauffement climatique, décéder dans les années 2030 avec les canicules l’été », renchérit Maxime Combes. Cela les rend, de fait, solidaires des plus jeunes. Le collectif Grands-parents pour le climat créé en 2015 en amont de la COP21 pour « une terre à vivre pour les petits-enfants », le camping des « cheveux blancs » sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes en avril 2018, les habitats collectifs intergénérationnels comme l’écolieu Écoravie dans la Drôme… Brunes et blondes tignasses, tempes grisonnantes et chevelures de neige composent les multiples nuances des cortèges et initiatives sociales et écolos. En témoignent les retraités engagés récemment interviewés par Reporterre. Selon le rapport Insee Première « Trente ans de vie associative » publié en 2016, un quart des personnes âgées de 65 ans ou plus sont membres de plusieurs associations.

« Des trois grands mythes d’une société moderne – mixité sociale, mixité culturelle et mixité intergénérationnelle –, celui qui se porte le mieux est la mixité intergénérationnelle. Il y a beaucoup de solidarité dans les deux sens. Les aidants sont en majorité des membres de la famille. Les liens intergénérationnels n’ont jamais été aussi forts qu’aujourd’hui. Mais si c’est un élément important de la cohésion sociale, il n’est pas intangible. Il faut en prendre soin », avertit Serge Guérin, auteur de La guerre des générations aura-t-elle lieu ? (éd. Calmann-Lévy, 2017, avec Pierre-Henri Tavoillot). Les politiques publiques devraient ainsi renforcer le lien plutôt que le fragiliser. (...)