
Les Gilets jaunes de Montpon, en Dordogne, sont sur tous les fronts : au marché et en débat public pour sensibiliser la population, à Bergerac pour rencontrer d’autres groupes et coordonner leurs actions. Ils ont même lancé un journal, « L’Éveil citoyen ».
n roulement, noté dans un cahier d’écolier, a été établi pour que les deux caravanes ne restent jamais vides. La réunion hebdomadaire de la veille s’est prolongée tard dans la nuit, mais Jean, rejoint entre-temps par Gilles, a déjà rallumé le feu et lancé la cafetière. « Avec Thibault, on s’est couché à l’aube. Ça pique un peu », avoue-t-il, en passant la main sur son menton couvert d’une ombre de barbe. La routine, ou presque, depuis qu’ils ont récupéré les caravanes et installé leur campement, le 5 janvier dernier.
À 9 h 30, c’est au tour de David, Nirvana et François de débarquer, à la recherche d’une table pour installer leur stand au marché de Montpon. « Les prochaines fois, on se donnera rendez-vous à 9 h ici pour être à 9 h 30 là-bas, indique François, en furetant sous l’auvent et dans la caravane rouge prêtée par Joël, le circassien. J’ai déjà des volontaires pour les prochains mercredis. On va essayer de faire en sorte que chaque personne ne fasse pas plus d’un jour par mois, pour éviter l’épuisement. » (...)
Objectif : faire connaître leur mobilisation aux habitants, à rebours des images de casse relayées par certaines télévisions. « On doit convaincre qu’on n’est pas antisémite et homophobe. Les gens sont très influencés par les médias, ils ne vont pas au-delà de BFM et de CNews qui nous décrivent comme un peuple haineux, regrette Sarah. Une personne est déjà venue m’interpeller, elle pensait que nous étions tous au RSA [revenu de solidarité active] ! Il n’y a personne au RSA dans notre groupe, mais des gens qui travaillent, des chômeurs, des retraités et des personnes en invalidité. »
Débat public des Gilets jaunes de Montpon prévu le 18 avril
Les témoignages de soutien continuent néanmoins d’affluer. (...)
« On n’a jamais rien fait, sauf partager des messages des Gilets jaunes sur les réseaux sociaux, a précisé Mireille. On aimerait savoir quoi faire de plus. » « Parce qu’on en a marre de ce gouvernement », a complété son mari, André. Le couple, qui souhaite être informé des prochains événements organisés par les Gilets jaunes, a finalement laissé son numéro de téléphone à David. « On va sans doute organiser un débat le 18 avril prochain », leur dit ce dernier. (...)
« tout se décide au vote à main levée, précise Christophe. À chaque fois que les flics sont venus pour nous expulser, on a voté à main levée devant eux pour savoir si on partait ou pas et où on se réinstallait, et on a appliqué la décision ». Plusieurs Gilets jaunes avaient participé aux trois réunions organisées par Montpon dans le cadre du « grand débat national » et en étaient sortis écœurés. « On nous a posé des questions et nous devions trouver les solutions, autrement dit, faire le travail de l’État, ironise Sarah. Lors de la réunion consacrée à l’écologie, quand nous avons revendiqué le principe du pollueur-payeur, l’animateur nous a répondu que c’était un slogan publicitaire ! À la troisième réunion, sur la citoyenneté, la démocratie, la laïcité et l’immigration, j’ai dû expliquer la différence entre vote blanc et abstention. À une autre réunion, à Port-de-Couze, Christophe a interpellé le député Michel Delpon sur le fait qu’il avait voté pour la loi “anticasseurs”. » (...)
Le groupe souhaite se réapproprier le dispositif pour concocter un débat à son image. « On veut expliquer aux gens pourquoi on est là, pour les éveiller, explique Christophe. Mettre en avant les problèmes de la privatisation des aéroports de Paris, de la réduction du personnel dans les hôpitaux… » « Les maternités qui ferment ! intervient Sarah, très sensibilisée en tant qu’ancienne aide-soignante en salle de naissance. Donc, pour les naissances, ça va être programmation-programmation-programmation. Ou alors, les femmes vont accoucher à la maison, avec tous les risques que ça entraîne. Un jour, j’en ai eu une qui a fait une rupture d’utérus : elle a énormément saigné, elle serait morte direct si l’on n’avait pas pu la transfuser ! »
L’après-midi, lectures militantes et peinture de banderoles (...)
Plus tard, des petites croix viendront orner le rond-point, « pour les onze personnes décédées depuis le début du mouvement », explique Sarah. « Pour Zineb Redouane, la vieille dame décédée après s’être pris une grenade lacrymo en plein visage, j’aimerais une croix noire avec des lettres jaunes, parce que c’est la police qui l’a tuée. Aucun mot de Macron là-dessus, d’ailleurs. Pas même un ‘‘elle aurait dû avoir la sagesse de ne pas fermer ses volets’’ ! » ironise-t-elle.
La soirée s’annonce chargée, avec le lancement d’un journal inter-groupes de Gilets jaunes, L’Éveil citoyen, et une réunion pour la création d’une organisation départementale. (...)
L’idée est d’offrir aux Gilets jaunes de Dordogne et au-delà une plate-forme pour partager leurs actualités, leurs annonces et leurs textes. Pour éviter tout phénomène de mainmise, la mise en ligne sera assurée par un Gilet jaune différent chaque mois. « Mais la personne la plus importante du collectif, c’est Régine, qui ne participe pas vraiment au mouvement des Gilets jaunes et nous apportera un regard extérieur, pour nous obliger à expliciter et éclaircir nos points de vue », précise François. (...)
Se pose ensuite la question de la circulation de l’information entre les cellules : pour cela, la création d’un conseil départemental est envisagée. « Si c’est la même personne qui transmet l’information entre la cellule, les ronds-points, les assemblées et le conseil, elle risque de finir par se prendre pour le chef et ça n’ira pas », intervient Jérôme. « Ce qui a foutu en l’air Bergerac, c’est de faire des départementales tous les quinze jours qui ne marchent pas », rappelle Arnaud.
« Si on fait ça, on entre dans le système »
Depuis des semaines, la question de la structuration du mouvement est dans toutes les bouches. (...)
De retour de Bergerac, Thibault, Angèle et Pascale racontent la soirée à Christophe et Sarah, tout en dégustant une assiette fumante de riz aux légumes.« Rencontrer des Gilets jaunes d’ailleurs permet de se sentir moins seul, ça permet d’échanger les idées », apprécie Christophe. « Cela permettrait d’organiser des actions différentes avec plus de monde », poursuit Angèle. Pour qui la diversification des activités pourrait être une autre clé : « La permaculture, c’est intéressant, ça peut motiver des gens qui ne peuvent pas forcément aller en manifestation et ça permettrait de nourrir la lutte. »« Ce qui est bien avec les Gilets jaunes, c’est que tout le monde peut trouver sa place, conclut Sarah. Rien que l’occupation du QG, c’est énorme, parce que ça montre que la personne est entrée en résistance. L’action, ce n’est pas seulement aller gueuler en manif. »