
Qui récupère le 8 mars ?
Les magazines féminins sont en première ligne dans ce domaine avec des initiatives sponsorisées, en grande majorité, par des grandes marques de shopping ou d’esthétique. Ainsi, l’opération « A vos talons citoyens » de Marie Claire est l’objet d’un partenariat avec le site de vente de chaussures en ligne Sarenza. Quant au photo shoot spécial « Mettez du rouge ! » du site aufeminin.com, c’est la marque Make up for ever qui s’y associe. Mais qu’en est-il du contenu de ces deux « campagnes de sensibilisation » ? Au nom de la lutte contre le sexisme, « A vos talons citoyens » fait poser des hommes portant des talons hauts, contribuant en réalité ainsi à une image caricaturale et réductrice des femmes. Il en est de même pour l’initiative du site aufeminin.com : des hommes portant cette fois du rouge à lèvres posent, dans le but de « sensibiliser le pays et particulièrement les hommes contre les violences faites aux femmes ». Si l’on a du mal à voir le rapport avec le fait de porter du rouge à lèvres ou non, il est en tout cas certain que pour ces deux médias, être une femme revient à porter des talons et du maquillage.
Sortiraparis.com : le sommet de l’hypocrisie
Sur sa page consacrée au 8 mars, le site Sortiraparis.com s’inquiète : « Cette journée, qui se veut militante avant tout pour faire bouger les mentalités et faire avancer les droits des femmes, serait-elle en train glisser vers une pente « commerciale », voir « festive » ? ». Mais très vite, le site range ses valeurs au rayon accessoires (de mode) et adopte un tout autre discours : « Le débat est lancé certes mais bon, chez Sortiraparis, même si on lutte pour les droits des femmes et l’égalité des sexes, on ne crache pas non plus sur la rose offerte par le boss ou le spectacle et les expos qui nous montrent combien on est géniales, nous les femmes ». Peu importe le sexisme puisque l’on s’amuse bien et que l’on a même des choses gratuites. On apprend sur le site que c’est « près de 450 bars, brasseries et restaurants qui participent à l’opération « Femmes en fête » en offrant notamment des roses aux femmes et en leur faisant bénéficier de réductions et « d’attentions particulières » le 8 mars. Le slogan, directement emprunté aux publicités d’une grande marque de cosmétiques, ne laisse pas vraiment planer de doute : « Parce que nous le valons bien ! ». (...)
C’est en regardant à la fois le contenu et la présentation des offres qui reviennent le plus souvent que l’on s’aperçoit de leur nature profondément sexiste. La couleur rose est ainsi utilisée dans quasiment tous les visuels des articles (bons de réduction, bons de commande, etc.). Le vocabulaire employé entretient les clichés sur la « douceur », « l’élégance », le « glamour » des femmes. Surtout, comme on parle aux femmes, ces offres se cachent derrière un éloge appuyé à la « féminité », au mérite des femmes modernes dont la vie bien remplie justifie amplement le besoin d’une journée dans l’année pour se faire « chouchouter » par « son » homme protecteur. La Journée de la femme devient ici une journée-récompense offerte « en compensation » de la condition féminine, pas si « rose » que cela. Car après tout, une année d’inégalités vaut bien une journée de cadeaux.
Quant au contenu de ces offres, il constitue le cœur du problème : pour la Journée de la femme, faites-vous maquiller, coiffer, épiler, masser, faites du shopping… Les seuls centres d’intérêts des femmes aujourd’hui, relayés par ces publicités et opérations, semblent être la mode, la beauté, l’esthétique. Les offres ressemblent en fait de plus en plus à celles qui existent pour la Saint-Valentin, la fête des mères, des pères, des secrétaires et des grands-mères. (...)
Comment peut-on en arriver là ? Comment une société peut-elle à ce point transformer une journée de commémoration (voir encadré ci-dessous) en galerie commerciale ? D’abord, du fait de l’ampleur de la publicité et du marketing dans nos sociétés. Les marques ont besoin de temps forts pour vendre et utilisent n’importe quel événement. La Journée de la femme offre sûrement aux commerciaux une belle opportunité de créer un nouveau rendez-vous annuel de la consommation, dans le « vide » du calendrier entre les cadeaux de la Saint-Valentin et les chocolats de Pâques. On peut donc se demander : où s’arrêtera ce phénomène ? Quitte à reprendre à leur compte des Journées internationales, peut-être faut-il s’attendre à voir fleurir bientôt des offres spéciales pour les victimes de racisme le 21 mars, ou pour les homosexuel(le)s le 17 mai. Mais ce phénomène est également rendu possible parce que les médias diffusent plutôt largement ces opérations et que peu de monde ne s’en offusque vraiment. En effet, alors que l’on s’attendrait à des réactions fortes de la part de la presse, de la ministre des droits des femmes et de la classe politique en général, tout le monde (ou presque : voir encore une fois l’article de Libération) semble accepter l’idée qu’honorer les combats féministes du 8 mars, c’est offrir une rose ou une épilation gratuite. (...)
D’où vient la Journée de la femme ? Que signifie-t-elle aujourd’hui ?
La Journée internationale de la Femme [1], célébrée par l’ONU chaque 8 mars depuis 1975, a pour objectif de rappeler l’histoire des luttes pour les droits des femmes, de mobiliser l’opinion publique et de pointer les inégalités dont les femmes sont encore victimes aujourd’hui. Historiquement, les origines de cette Journée remontent aux mobilisations ouvrières féminines au tournant du 20ème siècle aux États-Unis. Pour l’ONU il s’agit essentiellement de mettre en lumière le rôle des femmes dans les processus de développement et de paix, notamment dans les pays émergents et/ou pris dans des conflits armés. En France et dans d’autres pays occidentaux, l’appellation « Journée internationale des droits des femmes » qui se popularise de plus en plus correspond à des problématiques directement liées à la situation de ces pays où les femmes ont certes acquis le droit de travailler et de voter mais subissent encore de nombreuses discriminations.