
Les entreprises semencières souhaitent faire de l’Afrique la nouvelle zone d’extension des cultures transgéniques. Mais ce rêve semble difficile à atteindre. Au Kenya, la bataille autour du moratoire sur les OGM est à son comble. L’issue pourrait être déterminante pour la sous-région.
Le Kenya est un pays où la tension entre les partisans des OGM et leurs opposants a toujours été vive… En effet, ce pays héberge de nombreuses organisations, nationales (l’Institut kenyan de la Recherche agricole - Kari - est notamment financé par la Fondation Rockfeller et l’Usaid depuis plus d’une décennie) ou internationales (l’Isaaa a un siège à Nairobi), très favorables aux biotechnologies végétales [1]. C’est aussi un pays où la société civile est bien implantée. L’agriculture y est un enjeu national, mais aussi international. « Le secteur agricole est un pilier de l’économie kényane contribuant pour 24% au PIB et occupant près de 70% de la population active » [2].
Le 21 novembre 2012, l’ancien président, Uhuru Kenyatta, décrétait un moratoire sur les OGM [3], engendrant immédiatement une réaction très forte de l’industrie semencière et des organisations internationales. (...)
Ce moratoire était destiné à permettre de réunir des preuves suffisantes sur la sécurité sanitaire et environnementale des OGM. Rien ne précisait d’où devaient venir ces preuves et, à notre connaissance, le Kenya n’a pas financé une étude objective qui aurait permis de déterminer l’innocuité (ou non) des OGM. (...)
Pendant le moratoire, les essais continuent… avec plus ou moins de succès
Malgré de fortes pressions de l’industrie et de certains membres du gouvernement, jusqu’en 2019, le Kenya n’a pas autorisé de culture commerciale, ni l’importation d’OGM. En revanche, de nombreux essais en champs ont été implantés, notamment avec du coton Bt et du maïs Bt. (...)
2019 : une brèche dans le moratoire
La première brèche a été l’autorisation des cultures commerciales de coton transgénique Bt, décrétée le 19 décembre 2019 par le président kényan de l’époque, Uhuru Kenyatta. (...)
Par ailleurs, dans le Journal officiel du Kenya en date du 10 juin 2022, il est clairement spécifié qu’il est possible d’importer des tourteaux de coton OGM destinés à l’alimentation animale (...)
2021 : un manioc transgénique validé par l’ANB
Le 15 juin 2021, l’Autorité nationale de biosécurité autorisait la dissémination dans l’environnement à titre commercial d’un manioc (Manihot esculenta) transgénique (event 4046) [12]. Ce manioc a été génétiquement modifié pour résister au virus de la striure brune du manioc (CBSD, Cassava brown streak virus), en utilisant la technologie de l’interférence ARN (ARNi) (...)
2022 : tentative de levée totale du moratoire
Le 3 octobre 2022, le nouveau gouvernement, récemment élu, sous la présidence de William Ruto, décrète la levée totale du moratoire sur les OGM (...)
La presse, internationale et kényane, reprend les termes du communiqué de l’exécutif kényan et titre sur la « levée du moratoire ». Titre trompeur car, comme nous venons de l’écrire, le moratoire avait déjà été partiellement levé en 2019. Mais le décret gouvernemental concerne la possibilité d’importer, depuis l’Afrique du Sud, du maïs transgénique, donc une plante destinée à l’alimentation. Le maïs est la base de l’alimentation de nombreux kényans.
L’argument principal pour autoriser l’importation des semences de maïs OGM est que le pays est déficitaire du fait de la sécheresse et que les variétés OGM seront plus « résilientes ». Les autorités souhaitent « réduire la dépendance du Kenya » aux cultures très consommatrices en eau « en plantant des cultures qui sont résistantes à la sécheresse » (ainsi que « redéfinir significativement l’agriculture au Kenya ») [16]. Cela n’a jamais été démontré, dans quelque pays que ce soit. Et le seul maïs théoriquement « tolérant à la sécheresse » (nommé WEMA, pour Water Efficient Maize for Africa) autorisé en Afrique du Sud depuis 2015, le maïs MON 874602, n’a jamais été cultivé, selon Mariam Mayet, directrice de l’African Center for Biodiversity [17]. Cette ONG a attaqué en justice cette décision et une nouvelle audition est prévue en février 2023 [18]. En revanche, le 28 août 2019, l’Afrique du Sud a refusé, à nouveau, d’autoriser à la culture commerciale un maïs empilé contenant le transgène MON87460 [19]. Dans la décision initiale du ministère de l’Agriculture, il était clairement spécifié que « le nombre de grains par ligne et le nombre de grains par épi ont montré qu’il n’y avait pas de différences statistiquement significatives entre l’événement de maïs MON87460 x MON89034 x NK603 et le maïs conventionnel dans des conditions d’eau limitée » et que « les bénéfices de rendement associés à l’événement de maïs MON87460 x MON89034 x NK603 étaient inconsistants et dans certains essais, l’événement de maïs MON87460 x MON89034 x NK603 avait des rendements inférieurs à ceux du maïs conventionnel »… (...)
La Justice suspend temporairement la levée du moratoire
Mais c’était sans compter la ténacité des associations et syndicats paysans, qui refusent catégoriquement les importations et la culture d’OGM sur leur territoire. Une nouvelle plainte a été déposée par le syndicat Kenya Peasants League (KPL) auprès de la Haute Cour du Kenya, le 28 novembre 2022. Le jour même, cette Cour décidait de suspendre le décret gouvernemental qui permettait l’importation d’OGM dans ce pays jusqu’au 15 décembre. Cette suspension a été prononcée pour permettre d’instruire correctement la plainte qui vise la légalité de la décision gouvernementale. Le 15 décembre, la Haute Cour de Justice prolongeait la suspension du décret jusqu’au 13 février 2023. (...)
À la suite de la décision du Kenya, le ministre de l’agriculture de la Tanzanie, un des pays frontaliers du Kenya, a déclaré au journal local The Citizen : « nous allons mettre en place des mesures supplémentaires afin de nous assurer qu’aucune semence liée aux OGM n’entre dans le pays ». (...)
De même, le Burundi, limitrophe de la Tanzanie, a réaffirmé que les OGM étaient interdits à la culture et à l’importation. (...)