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L’Etat Islamique et l’archéologie : massacre antique ou propagande en toc ?
Article mis en ligne le 21 avril 2015
dernière modification le 8 avril 2015

Depuis maintenant plusieurs mois, l’Etat Islamique (ISIS, EI, Daesh, etc.) s’en est pris à des sites emblématiques de l’archéologie orientale. Qu’il s’agisse du musée de Mossoul, de la cité de Nimrud, des remparts de Ninive, du palais de Khorsabad, du site arabo-parthe de Hatra, le patrimoine archéologique irakien, millénaire, unique, a souffert. Pour rappel, l’EI, dans sa vision ultra-radicale de l’islam, professe la destruction des icônes païennes et a vocation à réduire en poussière toute trace des anciens temps, des anciens cultes idolâtres, sur les territoires conquis. L’idée même de conservatoire du passé, de musée, de patrimonialisation d’une antiquité non-islamique est considérée selon eux comme illégale au sens de la loi coranique.

La plupart de ces destructions ont fait l’objet d’une médiatisation : la vidéo des combattants dans le musée de Mossoul martelant des statues, ou bien encore la récente vidéo des destructions dans Hatra, avaient pour objectif de mettre en scène un combat autant militaire et politique que culturel en rendant palpable la destruction du patrimoine. Contrairement aux vidéos montrant la mort de prisonniers, nos médias se sont largement occupés de diffuser ces images, sans vraiment d’autre commentaires que « c’est horrible, ce sont des barbares », et sans vraiment prendre le temps du recul, et de l’analyse. On livre un choc, on délivre un message, on ne construit ni son contexte, ni son implication, ni son contenu réel. De fait, on sert exactement le projet et le but recherché par l’EI.

Récemment, une voix plus rare s’est faite entendre : celle de Pascal Butterlin, professeur d’archéologie orientale à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, dans l’émission d’Emmanuel Laurentin « La Fabrique de l’Histoire » (ici : http://www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-actualite-de-l-histoire-anne-emmanuelle-demartini-pascal-butterli). Durant la demi-heure d’interview, P. Butterlin avait rappelé quelques éléments essentiels sur lesquels nous souhaitions revenir dans cet article. (...)

Bref, il y a donc un gros souci de crédibilité pour de bonnes raisons :

– Si on détruit l’intransportable et l’invendable, c’est parce que derrière, l’EI s’occupe gentiment de piller les réserves des musées, y compris les œuvres idolâtres et païennes (Kévin se contredit parfois), pour les revendre à prix d’or. Moins grandes, plus facilement dissimulables, elles s’intégreront beaucoup mieux sur le marché noir qu’un bloc de 10 tonnes de grès. Le nombre de monnaies antiques issues des sites syriens sur le marché noir a d’ailleurs explosé depuis 2011

– Si on fait deux ou trois vidéos en toc dans lesquelles on martèle du plâtre, c’est parce que derrière on s’occupe de tronçonner les bas-reliefs pour les découper et les vendre eux-aussi. Plus communs, moins documentés, ils sont plus facilement écoulés sur le marché suisse notamment.

– Si on ne voit pas un seul bulldozer dans ces vidéos, c’est parce qu’un site en tell est plus aisément pillé à l’aide de fosses éparses et répétées qu’avec des gros coups de pelleteuse. Parce que l’EI cherche à s’attacher la fidélité des populations locales en laissant en friche un réservoir à mobilier archéologique qu’elles pourront vider progressivement pour se faire quelques dollars.

– Dans le cas de Ninive, les seules destructions ont concerné… Le rempart reconstitué à la fin du XXe siècle qui servait d’entrée au site pour les visites. Encore une fois, du toc.

Bref, loin de moi l’idée de relativiser totalement l’ampleur de ces destructions qui sont irréversibles et inacceptables, loin de moi l’idée de retirer aux moulages leur intérêt historique propre, loin de moi l’idée de dire « laissons couler », ce petit article cherchait d’abord à rappeler qu’il faut se méfier des contrefaçons, et surtout, éviter de se fier à la livraison interprétative de nos chers médias français qui n’ont pas vraiment eu le réflexe d’appeler des spécialistes pour parler de ces questions. Je cherche peut-être aussi à me rassurer moi-même, mais globalement, il ne fait aucun doute : malgré quelques réels dommages causés au patrimoine antique, on est surtout face à une propagande en toc.

Surtout enfin, je me permets de rappeler que si on fait un bruit énorme de ce qui se passe en Irak depuis quelques mois, les médias ont été largement silencieux sur : les pillages que les américains ont laissé faire (ou ont causé) en 2003, et les pillages quotidiens qui ont lieu aussi dans nos vertes prairies. Chaque année près de 500 000 objets archéologiques sont pillés en France (estimation), l’UNESCO estime à seulement 5% le nombre d’épaves archéologiques inviolées, et il suffit de consulter quelques dizaines de minutes les forums de détectoristes, les sites de ventes de monnaies anciennes, et les catalogues de ventes aux enchères pour se retrouver ahuri du pillage et des destructions qui ont aussi lieu sous notre nez.