
Le gouvernement avait prévu d’augmenter le budget alloué à la gestion des voies navigables pour les moderniser et les développer. Il a fait machine arrière, pénalisant un mode de transport déjà en difficulté.
C’est la première fois que le vote annuel du budget de Voies navigables de France (VNF, cet établissement public à caractère administratif gère et exploite le réseau fluvial français) soulève une telle tempête. Tous les membres du conseil d’administration, parmi lesquels Transport et logistique de France (TLF, la première organisation professionnelle représentative des métiers du transport) et France Nature Environnement, s’opposent farouchement à l’État. Au point d’avoir tous signé le 20 décembre un communiqué de presse intitulé « Les voies navigables lâchées par le gouvernement ». Une manifestation de colère inédite dans le petit monde du transport fluvial.
Pourquoi cette bronca ? Lors du débat sur le transport fluvial, qui s’est tenu au Sénat le 5 juin 2018, la ministre des Transports, Élisabeth Borne, s’était engagée à octroyer à VNF une rallonge de 33 millions d’euros pour 2019. Cette somme devait s’ajouter aux 80 millions d’euros déjà alloués par l’Agence de financement des infrastructures de transport (AFITF) pour entretenir, moderniser et développer le réseau. Mais les Gilets jaunes sont passés par là et l’État a fait passer à la trappe ce complément budgétaire quelques jours seulement avant le vote du budget. « VNF ne pourra pas mener toutes les opérations nécessaires à la modernisation du réseau et à l’amélioration des conditions de navigation », déplore Christine Morel, présidente de la commission fluviale de Transport et logistique de France. Le budget a finalement été adopté mais sans le soutien des représentants des milieux économiques. Une première, là encore, dans un monde où prédomine le consensus.
Le transport fluvial émet en effet quatre fois moins de CO2 par quantité transportée que la route (...)
Avec ses 6.700 kilomètres de canaux et de rivières aménagées, VNF gère et exploite le plus grand réseau de voies navigables d’Europe. (...)
Dans ce dispositif, les voies à grands gabarits se taillent la part du lion. Elles permettent le passage de convois de 185 mètres de longueur, constitués d’un pousseur et de barges pouvant transporter jusqu’à 5.000 tonnes. De quoi retirer 200 camions de nos routes — le transport fluvial émet en effet quatre fois moins de CO2 par quantité transportée que la route. (...) « Mais le réseau est sous-exploité et les investissements consentis ces dernières années largement insuffisants. (...)
Gérard Allard, de FNE, pointe un autre risque. Il est question, dans le cadre de la LOM de fermer à la navigation les 20 % du réseau fluvial les moins fréquentés. « Cela serait le prélude à d’autres abandons et un vrai gâchis », considère-t-il. Les trafics sur ces réseaux secondaires ne représentent qu’un peu moins de 10 % du trafic fluvial. Mais ils permettent aux territoires d’avoir une solution de transport de substitution à la route et ils « rapatrient » du volume vers les voies à plus grands gabarits. Certains tronçons secondaires sont très utiles, souligne Guillaume Dury, directeur du développement de VNF. C’est le cas notamment du canal de la Marne au Rhin, qui permet le contournement de Strasbourg, désengorgeant l’actuelle autoroute et offrant une solution partielle de substitution au projet de « grand contournement ouest » (CGO) de la ville.
L’abandon progressif du trafic fluvial sur les lignes de moindre gabarit n’est pas sans rappeler celui du « wagon isolé », qui permettait de massifier les flux de fret ferroviaire sur l’ensemble du territoire. Résultat : la part du fret ferroviaire a été réduite de moitié en 20 ans, à moins de 10 % actuellement. Seules subsistent aujourd’hui quelques « autoroutes » ferroviaires rentables, souvent sous-traitées à des opérateurs privés, sur lesquels voyagent les aciers d’ArcelorMittal ou les produits chimiques d’Arkema. « La France est le seul pays d’Europe occidentale où le fret ferroviaire s’est effondré. Il faut éviter qu’il en aille de même pour la voie d’eau, mais, pour cela, l’État doit investir massivement et sur la durée », insiste Gérard Allard. (...)
La comparaison avec nos voisins européens est peu flatteuse (...)
La réticence des entreprises vis-à-vis du transport fluvial s’inscrit dans la logique d’un commerce international frénétique, avec l’arrivée en masse en Europe de porte-conteneurs géants en provenance d’Asie. Or cette concurrence impose une rentabilité de plus en plus élevée aux chaînes logistiques, avec comme maîtres-mots « juste à temps » et flexibilité. Une règle qui a imposé le règne du tout camion.
Quelques entreprises ont entrepris de relever le défi du fleuve. (...) Mais ces entreprises font figure d’exceptions et en manquant à ses engagements vis-à-vis du transport fluvial, le gouvernement fragilise encore un peu plus un secteur en difficulté.