Créé il y a une dizaine d’années, le réseau Migreurop regroupe 45 associations situées en Europe, Afrique et au Proche-Orient. Aux manettes du projet, des chercheurs et des militants essaient de sensibiliser le populo sur la question de l’enfermement des étrangers et des politiques migratoires aux frontières de l’Union européenne (UE), notamment avec l’externalisation des contrôles dans des pays comme la Turquie ou le Maroc. Olivier Clochard, président du réseau, dresse ici une cartographie de cette « Europe en guerre contre un ennemi qu’elle s’invente ».
CQFD : En ce moment Migreurop est engagé sur deux campagnes, peux-tu nous les présenter ?
Olivier Clochard :
– La première s’appelle « Open acces now ». Depuis trois ans, avec le soutien d’Alternative européenne et de certains journalistes, on demande un accès inconditionnel aux centres de détention pour migrants.
– La seconde campagne « Front-exit » cible l’activité de l’agence Frontex avec l’idée de questionner cette agence au sujet de l’opacité juridique qui entoure ses missions. Opacité qui va jusqu’à des accords passés entre l’agence et des pays extérieurs à l’UE comme l’Ukraine ou la Biélorussie sans avoir l’approbation du Parlement européen. (...)
Il faut rappeler que Frontex, créée il y a dix ans et dont le siège est à Varsovie, est une agence européenne chargée de lutter contre l’immigration clandestine. Plus exactement Frontex est chargée de coordonner des actions de surveillance aux frontières extérieures de l’UE pour lutter contre des trafics de voitures, de tabac ou la traite des personnes. Mais la question de l’immigration accapare une grande part de son travail. Or rien n’est clair en termes de responsabilité juridique dans ce domaine. Lorsque l’agence coordonne une opération, elle le fait dans un pays de l’UE comme la Grèce ou la Pologne par exemple. Pour cela elle sollicite le concours d’autres pays européens. S’il y a des violations des droits humains (refoulements, non-respect de droit d’asile), l’agence dit ne pas être concernée. Ce qui pose problème car, étant une institution européenne, elle est aussi responsable des actions qu’elle coordonne. Il y a là une forme de brouillage juridique savamment orchestré puisqu’il est très difficile de déterminer les responsabilités entre l’agence, l’État hôte, ou bien les États participant aux opérations.
Dernièrement, un médiateur européen a fait des recommandations dans ce sens à Frontex mais l’agence les a rejetées. Du coup, le médiateur a fait appel au Parlement européen afin que l’agence mette en place un mécanisme clair de plainte concernant ses opérations, ce qui n’existe toujours pas aujourd’hui. (...)
Suite au drame de Lampedusa, Migreurop a mis sur son site une carte légendée ainsi : « L’Europe est en guerre contre un ennemi qu’elle s’invente ». Sous la carte, il y a le nombre de 16 000 migrants morts aux frontières européennes de 1993 à 2012. Un chiffre effarant.
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Cette militarisation des frontières, rendant les routes migratoires plus dangereuses, favorise de facto les réseaux des passeurs et on en arrive à ce paradoxe où l’Union européenne sécrète ce qu’elle prétend combattre. (...)
En 2002, l’Italie régularisait 700 000 sans-papiers, en 2005, c’était l’Espagne qui accordait des papiers à plus de 600 000 migrants, et à chaque fois on a observé une bronca des autres États membres pour vitupérer ces décisions. Aujourd’hui ce type de régularisations massives est devenu inenvisageable tant est grande la pression à l’intérieur de l’Union pour que chaque pays marche au même pas. (...)
Au sein de Migreurop, au-delà de nos différents communiqués et rapports établis, il y a deux positions importantes que nous avons prises. En 2010, on s’est prononcés pour la fermeture de tous les camps d’étrangers quels qu’ils soient et où qu’ils soient. En attendant, on demande à pouvoir pénétrer à l’intérieur de ces lieux, source de nombreuses violations de droits. Et en 2013, on a pris position en faveur de la liberté de circulation. Pourquoi des gens qui seraient nés du bon côté de la frontière pourraient circuler et les autres non ? C’est très important d’avoir ce genre de boussole pour avancer. Même si cela peut paraître décalé par rapport à l’air du temps, on a déjà vu l’histoire réserver aux idées les plus utopistes un aboutissement parfois inespéré.