– Imaginez que la Syrie n’existe pas, que la guerre n’y ait jamais eu lieu. La crise des migrants en Europe ne paraîtrait alors pas si terrible.
Les deux pays de l’Union européenne (UE) où sont arrivées le plus de personnes par bateau sont l’Italie et la Grèce.
En Italie, le nombre d’arrivées par la mer (principalement de Libye) n’a pas beaucoup changé depuis l’année dernière. De janvier à fin août, on en a compté 114 000, contre 112 000 pour la même période en 2014, selon l’Organisation internationale pour les migrations. C’est toujours plus de personnes que ce que l’Europe voudrait bien accueillir, mais un riche bloc économique de plus de 500 millions d’habitants devrait pouvoir leur faire de la place.
Ce qui a nettement changé, c’est l’afflux vers les îles grecques. Fin août, ils étaient 239 000 à avoir atteint la Grèce par la mer. Pour l’ensemble de l’année 2014, ils n’avaient été que 45 000. D’ici la fin de l’année, le chiffre actuel pourrait être décuplé et la moitié au moins de ces arrivants seraient des Syriens.*
Au fond, la crise des migrants à laquelle l’Europe est actuellement confrontée n’est autre que l’arrivée sur les côtes européennes de la crise syrienne.
En écoutant les débats qui ont court en occident, on ne pourrait vous reprocher d’oublier l’existence de la Syrie. Il y a quelques semaines, le ministre britannique Matt Hancock est intervenu dans un débat politique d’une émission radiophonique phare du pays. Employant pour des raisons évidentes le mot « migrant » plutôt que « réfugié », il a parlé de la manière dont le monde devait encourager des pays comme le Soudan et la Somalie à se développer pour que leurs habitants ne ressentent pas le besoin d’émigrer.
Il n’a mentionné ni la Syrie, ni l’Afghanistan, qui sont pourtant les deux pays qui ont généré le plus de réfugiés dans le monde.
Voulue ou non, l’omission de M. Hancock n’est qu’un symptôme d’une tendance plus large. D’une certaine manière, cela fait des années que le monde s’imagine que la Syrie n’existe pas. On a laissé ce pays à revenu intermédiaire proche des frontières européennes sombrer dans une guerre civile atroce.
Des villes entières ont été détruites. Près de la moitié de la population a fui. Quatre millions de Syriens sont aujourd’hui enregistrés comme réfugiés. Le processus de paix, si l’on peut l’appeler ainsi, est pratiquement inexistant. Le secrétaire d’État américain, John Kerry, a passé plus de temps à chercher un accord israélo-palestinien qui ne marchera jamais qu’une solution à la crise syrienne.
La politique occidentale semble consister à contenir le plus possible de réfugiés syriens dans les pays voisins et espérer que le problème reste hors de vue. (...)
Ces dernières années, à mesure que la crise dans leur pays d’origine s’est renforcée, j’ai observé de nombreux Syriens passer par plusieurs phases d’angoisse avant de prendre la douloureuse décision de quitter leur pays pour essayer d’atteindre l’Europe.
La première phase a été le déni. Les Syriens sont incroyablement fiers de leur pays et aucun de ceux que je connaissais ne souhaitait partir. Au début, ils refusaient souvent d’accepter l’ampleur de la crise et se déplaçaient à l’intérieur de la Syrie lorsqu’ils ne pouvaient vraiment pas rester chez eux.
La deuxième phase a été la détermination. Lorsqu’ils finissaient par fuir dans un pays voisin, ils souhaitaient tous désespérément faire en sorte de pouvoir rentrer chez eux le plus tôt possible. En 2012 et même encore en 2013, les réfugiés avec lesquels j’ai parlé étaient persuadés que ce n’était qu’une question de temps, qu’ils devaient juste trouver le moyen de survivre pendant quelques mois.
Puis est venu le désespoir. Le Liban a récemment interdit aux réfugiés syriens de travailler. En Jordanie, ils n’en ont jamais eu le droit. La Turquie les a aidés plus que tout autre pays, mais elle commence elle aussi à limiter la liberté de circulation des réfugiés. Les interventions humanitaires, qui ne sont qu’un pansement sur une plaie béante, sont minées par un criant manque de fonds. Quatre ans et demi après le début du conflit, la plupart des réfugiés syriens n’ont plus aucun espoir de retour.
Même si la guerre prenait fin demain, des millions de Syriens n’ont plus de maison. Alors que dans les pays voisins le futur se présente plutôt sombre, de plus en plus de réfugiés syriens choisissent de prendre le risque de se rendre en Europe pour avoir de meilleures chances de vivre une vie décente. (...)
Le Liban, un pays d’à peine plus de quatre millions de citoyens, accueille plus d’un million de réfugiés. Cette année, jusqu’en mars, date des dernières statistiques des Nations Unies, seulement 7 620 d’entre eux avaient été acceptés pour être réinstallés dans un autre pays.
Voilà le véritable problème derrière la crise qui afflige l’Europe. (...)
En essayant de garder la crise des réfugiés syriens à distance et en espérant que les réfugiés ne bougeraient pas des pays voisins, l’Occident n’a fait qu’aggraver la crise. En l’absence de réaction appropriée, la crise syrienne continuera de s’échouer sur les côtes européennes.